Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, absents aux audiences, sont au centre du procès historique des assassins présumés de Thomas Sankara. En une semaine, témoins et accusés se sont succédé à la barre, et l’un d’eux a particulièrement fragilisé la défense de l’ancien président burkinabè en exil à Abidjan.
Cette fois, les choses sérieuses ont commencé. Après une première audience rapidement reportée, lundi 11 octobre, le procès historique qui doit lever le voile sur les circonstances de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons d’infortune, le 15 octobre 1987, est entré depuis une semaine dans le fond du dossier. Et au fil des premières auditions des 12 accusés présents au tribunal militaire, principalement d’anciens soldats du Centre national d’entraînement commando de Pô, la parole se libère et la lumière commence peu à peu à émerger.
Appelé à la barre lundi, Yamba Élysée Ilboudo, 62 ans, premier accusé à comparaître devant le tribunal militaire présidé par le juge Urbain Méda, a expliqué avoir exécuté un ordre de son supérieur hiérarchique. En l’occurrence, l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, l’un des deux grands absents de ce procès, avec l’ancien président Blaise Compaoré, en fuite en Côte d’Ivoire depuis sa chute en 2014. À la barre, le soldat de 1ère classe, se montre beaucoup moins prolixe que lors de l’instruction.
« J’ai oublié, cela fait longtemps »
Celui qui était à l’époque le chauffeur de la sécurité rapprochée de Compoaré avait affirmé, lors de ses auditions devant le juge d’instruction, avoir été présent au Conseil de l’entente, ce jour funeste d’octobre 1987. Il a aussi assuré y avoir aperçu Gilbert Diendéré. Devant le tribunal, cependant, il botte souvent en touche face à la vague de questions à laquelle le soumettent le juge, le procureur et les avocats des parties civiles. « Je ne me souviens pas » ; « J’ai oublié, cela fait longtemps »… Au fil de l’audition, l’ancien soldat, qui plaide non coupable, a pourtant fini par livrer quelques détails sur la manière dont le commando a exécuté le père de la révolution burkinabè.
« Je suis militaire, si le chef dit de faire quelque chose, je le fais », a-t-il notamment déclaré, pointant – sans le nommer – Hyacinthe Kafando. Il confirme que le commando est bien parti du domicile de Blaise Compaoré, situé alors dans le quartier de Koulouba, dans le centre-ville de Ouagadougou. Un témoignage qui vient mettre à mal la ligne de défense de Blaise Compaoré, qui a refusé de comparaître à ce procès dont il est le principal accusé et que ses avocats qualifient de « politique ».
THOMAS SANKARA SORT DE LA SALLE, LES MAINS EN L’AIR… HYACINTHE KAFANDO ET MAÏGA TIRENT SUR LUI.
Arrivé au Conseil de l’entente, celui qui conduisait l’un des deux véhicules transportant les hommes du commando raconte que l’assaut lancé contre Thomas Sankara et ses compagnons a duré « 4 à 5 minutes ». Lui n’y a pas participé, promet-il. À peine les portes franchies, Hyacinthe Kafando descend précipitamment et scinde le commando pour encercler la salle où se tenait la réunion présidée par le « camarade capitaine ».
Hyacinthe Kafando et l’adjudant Maïga se dirigent vers l’entrée de la salle où sont réunis Thomas Sankara et ses compagnons. « J’ai assisté aux coups de feu depuis le véhicule, qui avait été endommagé après avoir percuté violemment le portail. Je me souviens avoir vu Oualilahi Ouédraogo, un garde de la sécurité de Thomas Sankara, touché par les balles. C’est la première victime », a raconté Yamba Élysée Ilboudo. « Puis, Thomas Sankara sort de la salle, les mains en l’air, en demandant ce qui se passe… Là, Hyacinthe Kafando et Maïga, qui avançaient, tirent sur lui. Il s’effondre, d’abord sur les genoux, avant de tomber sur un côté », poursuit-il, avant d’affirmer : « Je ne sais pas lequel des deux à tirer le coup fatal. »
Quant à la présence de Gilbert Diendéré sur place au moment du massacre, Yamba Élysée Ilboudo change d’abord de version, affirmant ne pas l’y avoir vu. Puis pressé de questions par le président du tribunal, il finit par faire à nouveau volte-face et confirme sa présence sur les lieux, en réunion avec ses soldats. « Pourquoi, quand il s’agit du général Diendéré, vous ne vous souvenez de rien ? Avez-vous peur ? », l’interroge le juge Méda. « Cette question est compliquée », concède le soldat. « Mais oui, j’ai peur ». Après l’assaut, le commando a regagné, à pied, le domicile de Blaise Compaoré.
Dénégations et versions contradictoires
Jeudi, ce fut au tour d’Idrissa Sawadogo de se présenter devant les juges. Aujourd’hui âgé de 59 ans, l’ancien soldat a tenu sa ligne de défense : il affirme ne pas avoir été présent au moment de la tuerie, puisqu’il était resté au domicile de Blaise Compaoré. « C’est de là-bas que j’ai entendu les tirs », a-t-il assuré, affirmant même que Yamba Élysée Ilboudo, dont le témoignage est si accablant pour Blaise Compaoré, n’était pas présent lors de l’attaque, car « malade » le jour des faits. Un témoignage balayé d’un revers de manche par l’accusation. « Nous n’attendons pas grand-chose de l’interrogatoire d’Idrissa Sawadogo, car sa ligne de défense est de tout rejeter », a lâché le substitut du procureur militaire Sidi Becaye Sawadogo.
Troisième accusé à comparaître au cours de cette première semaine d’audiences, Nabonswendé Ouédroago qui était, comme Sawadogo, membre de la sécurité rapprochée de Blaise Compaoré. Et comme lui, également, il s’inscrit en faux vis-à-vis du témoignage de Yamba Élysée Ilboudo. Non, il ne faisait pas parti du commando qui a donné l’assaut, puisque, affirme-t-il, il était en poste à la surveillance de l’entrée du Conseil de l’entente. « Le 15 octobre, entre 15 h 30 et 16 heures, Hyacinthe Kafando – dont le pied à terre est mitoyen de celui de Blaise Compaoré – est passé dans les locaux [du Conseil de l’entente] où j’étais de garde. Il y a embarqué avec lui des éléments qui l’attendaient à la porte. Peu après leur départ, les coups de feu ont retenti », a-t-il raconté au tribunal. Sans vraiment convaincre. Son audition doit reprendre à la réouverture des audiences, prévue ce mardi 2 novembre.
Ce sera ensuite au tour du général Gilbert Diendéré d’être appelé à la barre. La version de ce militaire, qui purge actuellement une peine de vingt ans pour son implication dans le putsch manqué de septembre 2015, est particulièrement attendu. Il viendra clore la série d’auditions des accusés présents lors de ce procès, ouvrant la voie aux réquisitions et plaidoiries des parties civiles et de la défense.
Afrika Stratégies France avec Jeune Afrique