RDC : Présidentielle, les doutes et l’impasse

Tous d’accord, majorité, opposition et clergé, pour que se tiennent à bonne date les élections congolaises du 23 décembre 2018. Les premiers soutiennent mordicus que le processus est sainement conduit, les deuxièmes rejettent l’idée de report, mais ne veulent pas entendre parler de machine à voler, plutôt qu’à voter, encore moins du fichier électoral supposé hanté par une dizaine de millions d’électeurs fantômes. Entre les deux, la voix d’une solution intermédiaire incarnée par les cathos qui continuent de maintenir la pression, conjuguée avec celle des pôles d’influence étrangers. En définitive, la RDC est forcée d’avancer sans détour vers les urnes, quand bien même l’issue s’avèrerait ombrageux !

La réponse du clan gouvernemental à l’opposition congolaise et ses militants qui étaient dans les rues le 26 octobre pour pester contre les fameuses machines à voter, selon eux, instruments de fraudes du pouvoir Kabila. Le lendemain, Emmanuel Ramazani Shadary le joker de Joseph, et avec lui toute la plateforme de la mouvance présidentielle, étaient en pré-campagne au Stade Saint-Raphaël de Kinshasa, pour soutenir le processus électoral. Le front Commun pour le Congo (FCC) vient ainsi de mettre officiellement le cap sur la Présidentielle du 23 décembre 2018. Affichant une apparente sérénité, comme pour camoufler l’insomnie que leur cause la mobilisation des adversaires du pouvoir. Pas question de laisser l’opposition faire la preuve d’une déferlante nationale contre l’organisation des élections. Raison pour laquelle, la manifestation en faveur des élections sans machines à voter, que Vital Kamerhe et ses alliés avaient voulu d’envergure, a été interdite dans plusieurs  grandes villes du Congo. Kisangani, Mbuji-Mayi et Kananga, ont été contenues par les forces de l’ordre. Des échauffourées entre manifestants et police signalées à Lubumbashi, assorties de quelques interpellations. Exception faite de Goma et de Bukavu en plus de Kinshasa qui ont pu accueillir ces marches pacifiques de protestation. Dans la capitale congolaise, les manifestants ont transporté un cercueil sur lequel est écrit « Adieu machine à voter ». « Nous voulons des machines à voter, celles-ci sont des machines à voler », ont-ils dénoncé.  Adolphe Muzito joint la voix des leaders à celle des manifestants. L’ancien premier ministre affirme au nom de ses camarades de lutte qu’ils  accompagnent « le peuple à sa revendication première : de bonnes élections le 23 décembre prochain obligatoirement, mais des élections sans machine à voter ». Face à cette démonstration, il fallait apporter l’antidote. Et la sortie du clan à Kabila a sonné comme une réponse du berger à la bergère. De ce petit jeu de stick pulling entre le pouvoir et l’opposition congolaise, transparaît une légère poussée de fièvre qui établit clairement le diagnostic d’un antagonisme exacerbé entre les deux camps. La pomme de discorde est bien connue, mais aucun des acteurs ne semblent visiblement enclin à assouplir sa position pour débloquer le processus.

L’intransigeante CENI

Secret de polichinelle, ce sont les machines à voter et le fichier électoral qui divisent en République Démocratique du Congo. A l’issue de la deuxième rencontre le 24 octobre dernier entre la commission électorale nationale indépendante et les 21 candidats en lice pour la présidentielle de décembre, point de consensus. Face à la double exigence de l’opposition, celles de retirer la machine du vote, et la suppression du fichier électoral d’au moins 10 millions de personnes enrôlées ; le Président de la Céni, Corneille Nangaa répond sèchement: « Ceux qui ne veulent pas qu’on ait une discussion technique peuvent partir. Ceux qui veulent qu’on expérimente la machine à voter qu’ils restent ». Martin Fayulu, l’un des candidats contestataires estime que la machine « n’est pas prévue par la loi ». Rejoignant ainsi la position des cadors de l’opposition congolaise qui rejettent catégoriquement la fameuse machine.  Vital Kamerhe, Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba. Épineuse équation visiblement difficile à résoudre pour relancer le processus. A l’appel au calme de l’ONU afin qu’une entente soit faite sur la question, les protagonistes font la sourde oreille. Le diplomate français, François Delattre avait invité les acteurs à trouver « par le dialogue les voies d’un consensus le plus large possible permettant de créer les conditions d’élections réellement crédibles et transparentes, se déroulant dans un climat apaisé. » La suite on la connaît, des manifestations en fin de semaine. Celle de l’opposition pour faire entendre ses revendications, une autre des hommes de Kabila pour défendre le processus. « Le 23 décembre 2018, il y aura élections, que personne ne vous parle de report. On n’est pas encore en campagne mais le raïs (Joseph Kabila, ndlr) vous a désigné une personne, c’est Emmanuel RamazaniShadary », a hurlé dans les hauts parleurs du Stade Saint-Rapahaël plein comme un œuf, le Premier ministre Bruno Tshibala. Les signes de la tension se font jour, la crainte de l’Eglise catholique congolaise se confirme. Certainement que des regards seront tournés vers le clergé congolais qui peut dénouer la situation.

La CENCO à la rescousse

Révérence à l’église catholique congolaise, l’une de plus impliquées du continent dans la gestion des affaires politiques.  C’est elle qui, le 31 décembre 2016 avait orchestré la signature de l’accord de sortie de crise entre le président Joseph Kabila et l’opposition congolaise. C’est encore elle qui déclenche quelques mois plus tard, les mouvements de protestations contre les violations incessantes de l’accord par le Président. Actrice incontournable dans le processus d’alternance politique à travers l’organisation des élections crédibles et transparentes au Congo, c’est depuis le début de l’année, que la Conférence Episcopale nationale du Congo n’a de cesse d’agir pour que les élections présidentielle, communale et provinciale congolaises, non seulement se tiennent à la date indiquée par le pouvoir, mais en plus, qu’elles soient organisées dans les conditions maximales de transparence. Une lettre adressée à l’ONU le 18 mars pour l’inviter à renforcer son rôle en RDC ; une tournée européenne pour ameuter les partenaires internationaux, et notamment «solliciter leur appui dans l’accompagnement du peuple congolais pour que ses aspirations soient réalisées dans des bonnes conditions », comme l’expliquait le père Donatien Nshole, secrétaire général de la Cenco. C’est cette même Eglise catholique qui monte aujourd’hui au créneau pour prévenir contre le pourrissement du climat politique, au regard des désaccords autour des machines à voter et du fichier électoral.Tout comme la communauté internationale, elle demande aux acteurs de s’entendre sur les questions qui les divisent. Ce débat sur les machines supposées à fraudes du pouvoir ne date pas d’aujourd’hui, et les religieux congolais avaient donné leur avis depuis le mois d’avril. Le secrétariat général du Cenco avait noté que « les voix discordantes se multiplient jusque dans la fabrication et la provenance de ces machines. La Cencoréitère sa demande de la certification de machines à voter par des experts nationaux et internationaux afin de trouver un consensus capable de rassurer toutes les parties prenantes sur le volet technique et sur le volet juridique”, dixit l’abbé Donatien Nshole.

Le désaccord se faisant de plus en plus heurté à 2 mois de la présidentielle, il presse de faire revenir les deux parties à la raison, étant entendu par tous que la date du vote est inamovible. Une tâche qui s’annonce herculéenne, que l’épiscopat aura du mal à résoudre seul. Les puissances étrangères devraient s’y impliquer.

La pression internationale                                              

Son implication, associée à la contestation manifestée à l’intérieur du pays,  a permis de mettre Joseph Kabila sur les carreaux. Le Président congolais, qui avait refusé de quitter le pouvoir après ses deux mandatures constitutionnellement réglées, est obligé de partir. C’est l’un des acquis fondamentaux de cette lutte pour l’alternance en RDC. Les Etats-Unis, la France, la Belgique et autre le Canada, sans oublier les Etats africains, est les institutions européennes et africaines, tous ont pris en tenaille le Raïs qui n’a plus pour seule alternative que de protéger ses arrières, en manœuvrant   pour que son dauphin Emmanuel Ramazani Shadary devienne son successeur. Les puissances internationales  ont tapé du poing sur la table, un troisième report de l’élection présidentielle ne sera pas toléré, il faut respecter le calendrier, et Joseph Kabila s’emploie à ne pas faillir. Cependant, sur la question qui divise, la communauté internationale, comme à son habitude ne prend pas position. Elle conseille la voie du dialogue. Officiellement ! Pendant que dans les coulisses, elle agit pour concilier les positions. Le Front Commun pour le Congo s’accroche aux dispositifs électoraux, malgré les résultats des expertises, notamment celles britanniques qui ont formulé une quinzaine de recommandations pour rendre fiable le système. Ce qui constituent pour l’opposition, de solides arguments pour continuer de douter de ces machines à voter. Au nombre des recommandations, la désactivation par la CENI des communications externes (carte sim et Wi-Fi), jusqu’au moment où celles-ci sont nécessaires, le recouvrement de tous les ports externes ou encore la limitation du nombre maximum de bulletins par machine à 660 pour empêcher un excès de vote et de supprimer la fonction d’impression de code QR.

Autant de dispositions à prendre pour certifier le système. Une partie de l’opposition, celle constituée par les figures de proue, préfère la condamnation de ce dispositifpour revenir à la méthode traditionnelle de bulletins de vote. Exception faite de l’UDPS de Félix Tshisékédi qui compte bien aller au vote avec ou sans la machine. Avec lui, d’autres candidats sont également prêts pour le scrutin du 23 décembre, à condition que des textes techniques soient faits sur l’appareil. La communauté internationale devra, si elle estime que les machines à voter peuvent être codifiées de sorte à garantir des scrutins exempts de fraude, convaincre le camp des réfractaires. Cette opposition qui au-delà du défis de la certification du vote, est appelé à faire front commun pour maximiser leur chance de détrôner l’empire Kabila.

Force et faiblesse des adversaires. C’est encore la médiation étrangère qui se pointe au chevet de l’opposition congolaise pour l’aider à se coaliser. Si la réunion de Prétoria des 24 et 25 octobre derniers, à l’initiative de  l’Ong Sud-africaine In Transformation Initiative, n’a pas réussi à dégager le nom du candidat unique pour les joutes électorales du 23 décembre, elle a tout de même obtenu la date du 15 novembre pour révéler son identité. Vital Kamérhe, Jean-Pierre Bemba, Moïse Katumbi Félix Tshisekedi, Adolphe Muzito devront se mettre d’accord pour désigner un seul porte-étendard de l’opposition, un défi non aisé à réaliser. Mais en attendant, leurs militants peuvent se satisfaire du principe de candidat unique, mais surtout d’un certain accord obtenu, celui de ne pas boycotter les élections.

Des efforts se font pour banaliser les divergences. Les positions tranchées sur des élections avec ou sans les machines à voter, n’entament visiblement pas l’alliance au sein du groupe. Jusqu’où peut tenir l’attelage ? Il ne doit surtout pas se désagréger. Au risque de replonger la Rdc dans une impasse, la tension couvant dangereusement.

redaction@afrikastrategies.fr

 

 

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