Cinq candidats dont le président sortant, deux dinosaures (Wade et Khalifa) éliminés, et aucune femme, la présidentielle s’annonce sans grands enjeux d’autant que Macky Sall semble largement favori. En tête de peloton des révélations, le jeune Sonko vite devenu un phénomène politique. Mais rien n’est joué pour autant. Reportage !
Dakar. Pikine Guédiawaye. Banlieue de la capitale sénégalaise. Le calme règne. Strict respect du code électoral qui interdit « toute manifestation publique » et affiches de candidats avant l’ouverture officielle de la campagne prévue samedi minuit. Les Sénégalais, habitués depuis ix décennies à des scrutins réguliers continuent leur quotidien comme si de rien n’était. Même si, quelques jours plus tôt, le président sortant a inauguré un TER (Train express régional) ainsi qu’un pont qui relie la Casamance et la Gambie, réceptionné ce jour un Airbus A330-900 Neo,flambant neuf destiné à la nouvelle compagnie Air Sénégal. « Il profite de sa fonction pour faire campagne avant l’heure » rétorque l’autre Sall. Issa Sall est l’un des cinq candidats autorisés par le conseil constitutionnel à compétir pour la prochaine présidentielle. Si Khalifa, ancien maire de Dakar n’avait pas été écarté, on aurait eu au moins 3 « Sall ». Mais si Dakar est aussi calme, dans les labyrinthes et coulisses des partis politiques, ça chauffe. Et même si Macky Sall est parti favori, les quatre autres candidats ne ménagent pas leurs efforts pour le battre…
Macky, un coup K.O comme Wade en 2007 ?
Pour Mohamed Guèye, directeur de publication du journal Le Quotidien, Macky Sall peut bel et bien gagner dès le premier tour et en toute sérénité. Et ce ne serait pas nouveau. «Wade avait gagné au premier tour en 2007 en étant très impopulaire. Et il n’y a pas eu de contestation sérieuse. Et la rue n’avait pas bougé. Macky Sall était son directeur de campagne à l’époque. Pas de policiers dans la rue, pas de militants politiques emprisonné, pas de mort», se rappelle le journaliste. Il y a une certaine paranoïa qui ne se justifie pas sur ces échéances d’après M. Guèye, notamment sur les craintes de trouble. «Moi, je me méfie des idées toutes faites dans cette élection. D’abord, je note que l’on n’a jamais connu de période préélectorale aussi paisible depuis plus de 20 ans ». Pourtant, des raisons de s’inquiéter sont réelles. Habitué certes à des élections propres, pacifiques et apaisées, le Sénégal prépare celle du 24 février sur fond de tensions. L’élimination de deux candidats de taille (Karim Wade et Khalifa Sall) est interprétée comme une « volonté du pouvoir » de s’éviter les challengers de taille. Une situation qui crée une tension peu apparente mais persistante. « Cette présidentielle sera la moins transparente de notre démocratie » met en garde Pape, qui a 69 ans s’affirme « témoin de tous les rdv électoraux du Sénégal ». Mais devant sa petite villa de Cité Keur Gorgui, il craint pour la première fois dans l’histoire de son pays, « des troubles ».
Les vieux soupçons ont la peau dure
Dakar-Plateau. Cœur de la présence française. A quelques minutes du palais présidentielle et non loin du parlement et conseil économique, social et environnemental (Cese), Paris règne, discrètement. Rue El Hadji Amadou Assane Ndoye, Christophe Bigot qui représente la France ici a donné des consignes fermes aux diplomates, « pas question de s’immiscer de quelque manière que ce soit dans le processus ». A l’ambassade, on ne veut pas dire un seul mot. Mais plusieurs notes diplomatiques remontées à Paris évoquent « des frustrations inhabituelles et une crispation ». La tension est palpable entre pouvoir et opposition depuis quelques jours en tout cas. En dehors du parrainage, la fiabilité du fichier électoral fait débat. L’opposition soupçonne le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye qui organise les élections de favoriser le président sortant. Déjà échaudée par la loi sur le parrainage contre laquelle s’est insurgée sans obtenir gain de cause, l’opposition est sur ses gardes. D’ailleurs, l’avocat d’affaire Mame Adama Guèye qui a jeté l’éponge en plein collecte des parrainages, s’est engagé avec d’autres leaders pour sécuriser le scrutin à travers la Plateforme opérationnelle de sécurisation des élections (Pose). L’église catholique déploiera 1000 observateurs en plus de ceux de la société civile et des observateurs étrangers. Mais dans une ambiance de méfiance et de mise à l’écart de potentiels candidats, tout cela ne suffira pas pour rassurer les Sénégalais.
Entre turbulences et stabilité
Pays de tradition démocratique, voire de vieille démocratie, le Sénégal est une ancienne colonie française et ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (Aof). Pacifique et stable, cet Etat de l’Afrique Occidentale a souvent été cité comme exemple de démocratie sur le continent. Seul pays toujours épargné des coups d’Etat militaire depuis son indépendance en 1960, il compte plus de 14 millions d’habitants. Deuxième puissance économique de l’Union économique et montaire ouest africaine l’UEMOA après la Côte d’Ivoire, sa stabilité attire des hommes d’affaires et des investisseurs. Le Sénégal, c’est aussi pays de diplomatie. A ce titre, il abrite le siège de nombreuses instituons régionales ou internationales, d’organismes onusiens, de grandes ONG. Le pays est aussi connu pour la qualité de ses ressources humaines, la pertinence de son enseignement supérieur d’où sont sortis les premières élites de l’Afrique post-indépendance. Son ouverture et la prévenance de sa population traduit par la périphrase «Pays de la téranga». Du point de vue géopolitique et géographique, le pays intéresse. Dakar est à moins de 4 heures de vol des capitales européennes qua des Etats-Unis. Cette élection qui se prépare devrait consolider tous ses atouts du pays.
Profils variés
Une liste de cinq candidatures composée de Madické Niang, Issa Sall Macky Sall Idrissa Seck et Ousmane Soncko. Un constat ! Contrairement à 2012 ou elles étaient deux, aucune femme ne sera présente au scrutin ; la société civile sera elle aussi absente. Trop jeune et sans expérience politique, Ousmane Sonko mobilise des foules sans créer « la grande foi » qui permet de passer en force face à un président sortant. Mais il a de l’avenir et plusieurs messages diplomatiques l’évoquent. S’il est vite apparu « anti-français », une posture qu’il n’assure point, Paris qui le perçoit comme « trop rigide ». Sans doute à cause de ses positions sur le franc CFA, monnaie coloniale imprimée en France et que le Sénégal partage avec 14 autres anciennes colonies françaises. Sonko peut néanmoins compter sur la grande machine qu’est le Pastef, qui le porte. Président sortant et candidat, Macky Sall envisage briguer un second mandat et n’écarte aucun moyen, même ceux de l’Etat. Il met en avant les diverses réalisations lors de son tout premier mandat, brandissant un PIB qui, en dessous de 1% à son arrivée, a gagné 6 points. Le Fmi (Fonds monétaire international) attend près de 7% pour cette année. Le grand projet de la ville moderne de Diamniadio figure déjà sur de multiples affiches de campagne que nous avons pu voir stockés dans un magazine de centre-ville de Dakar. Dans son entourage, le président est célébré comme « le Mitterrand de son temps », l’homme de la démesure infrastructurelle. Il est porté par la coalition Benno Bokk Yakar. A côté d’eux, l’ex-Premier ministre Idrissa Seck est un habitué de la course à la présidence. Madické Niang y prend aussi part ainsi que le candidat du Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR), Issa Sall. Entrepreneur et promoteur d’une université à Dakar, il est une véritable touche à tout. Comme si la diversité des profils est l’autre richesse de cette présidentielle pour laquelle, rien n’est joué.
Frédéric Nacère, Correspondant régional, Dakar
Sonia Amenyito, Collaboratrice, Lomé