Pour la première fois depuis 1973, date de la première réunion informelle de coopération entre la France et l’Afrique francophone, réunion organisée à l’initiative du président nigérien Hamani Diori, alors relais influent de la diplomatie française en Afrique – les chefs d’État n’ont pas été conviés à ce grand rendez-vous politique qu’est le Sommet entre la France et l’Afrique. Le Nouveau Sommet Afrique-France, lui, doit se tenir à Montpellier ce vendredi 8 octobre. « Le sommet Afrique-France traditionnel, un chef d’État et 54 chefs d’État en face, nous semble effectivement un format obsolète », a d’emblée justifié l’Élysée.
Ce 28e sommet va faire la part belle aux sociétés civiles africaines et à la diaspora française d’origine africaine. L’objectif est de faire table rase du passé pour rebâtir une relation Afrique-France sur la base des aspirations des forces vives africaines et françaises. Le point de départ est évidemment le discours de Ouagadougou de novembre 2017.
Au cœur de ces préparatifs, il y a Wilfrid Lauriano do Rego*, coordinateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique, vigie créée par le président de la République française pour être le réceptacle des nouveaux enjeux africains et de la diaspora. Il a répondu aux questions du Point Afrique.
Le Point Afrique : Quatre ans après le discours de Ouagadougou, où en est la politique africaine du président Macron ?
Wilfrid Lauriano do Rego : Vous avez raison de le souligner. Au départ, le chef de l’État, de retour de Ouagadougou, où il s’était entretenu avec la jeunesse africaine, souhaitait que le débat sur l’avenir de la relation franco-africaine se poursuive en France au sein de l’opinion publique. Pendant quatre ans, le président a voulu asseoir sa vision du changement, dont le principal objectif est d’embarquer la société civile. Pour ce faire, il a d’abord créé le Conseil présidentiel pour l’Afrique, qui a engagé un dialogue régulier avec la société civile sur plusieurs thèmes. Ensuite, il a travaillé sur les questions mémorielles, les plus brûlantes. Il y a eu le rapport Stora qui a conduit à la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la guerre d’Algérie. Il y a eu le rapport Duclert qui a conduit à la responsabilité de la France dans les événements au Rwanda. Il y a eu également la réforme du franc CFA et la décision prise du retour des œuvres d’art historiques sur le continent dans deux pays qui l’ont demandé, c’est-à-dire le Bénin et le Sénégal. D’autres pays le demandent déjà.
Toutes ces décisions découlent d’une volonté forte du président de changer le narratif autour des relations entre la France et l’Afrique. Le chef de l’État veut des relations plus équilibrées. Et donc, il a commencé par donner des gages ; il a fait du régalien. Parallèlement à cela, il a donné mandat au CPA de dialoguer avec la société civile, d’aller à la rencontre et de faire des remontées de perception et des recommandations. C’est ce que nous avons fait pendant quatre ans sur des thématiques diverses comme la santé, la formation professionnelle, les événements culturels et l’entrepreneuriat. Nous avons mené des discussions d’abord en Afrique puis, au cours de ces deux dernières années, surtout avec la pandémie de Covid-19, nous avons été à la rencontre de la diaspora.
Tout ça mis bout à bout aboutit à une transformation de la vision même de ses grands sommets. Plutôt que ce soit un sommet des chefs d’État classique mettant en prise un président pour cinquante-quatre pays, le président a voulu amplifier ce dialogue avec la société civile pour passer à l’échelle supérieure.
Comment se sont déroulés les préparatifs ?
De son côté, le CPA a organisé, depuis quatre ans, des échanges avec la société civile. Nous avions organisé un Tour de France de l’entrepreneuriat durant lequel nous avons pu recueillir les impressions, les idées, les remarques des personnes qui ont participé. À l’issue de ce premier rendez-vous, nous avons lancé une initiative intitulée Pass Africa.
En prévision du sommet, nous avons organisé un deuxième tour centré cette fois-ci autour de la saison Africa 2020, avec des sujets plus culturels. Cela nous a permis de montrer la culture africaine à la société française pour contribuer à changer de narratif. À cette occasion, nous avons pu également sensibiliser une part plus importante de Français d’origine africaine qui ne sont pas dans les centres mais qui sont dans les quartiers prioritaires. Ils n’ont pas le réflexe d’aller aux expositions. Nous, on les a amenés pour qu’ils s’imprègnent de la culture et de lieux qui sont aussi à leur disposition. On a fait Roubaix, Tourcoing, Brest, etc., et chaque fois qu’on faisait ces tours-là, ça se terminait par un débat de deux à trois heures. On leur a tendu le micro pour savoir quelles étaient leurs préoccupations, leurs remontées, leurs recommandations et attentes.
C’est une première, un sommet Afrique-France sans aucun chef d’État africain. Faut-il y voir un message ?
La transformation de l’Afrique ne peut pas se faire sans la société civile, cela ne veut pas dire que la France exclut les relations avec les États, mais cela veut dire plutôt qu’elle inclut les préoccupations des sociétés civiles. Maintenant, au sommet, c’est aussi à cette société civile de dire comment elle voit les choses et ce qu’elle propose.
Ce sommet se tient dans un contexte africain complexe avec des coups d’État en Afrique francophone, la montée du sentiment anti-français. Est-ce que ça ne risque pas de perturber tout le travail autour du narratif que vous appelez de vos vœux ?
Disons que le contexte que vous indiquez est effectivement compliqué. En Afrique, le Frenchbashing est réel. On l’a vu au Sénégal, un pays que je connais bien et qui est réputé pour sa tradition d’ouverture et de dialogue. Il y a eu des mouvements de révolte, des attaques contre des commerces français. C’était assez surprenant.
À mon avis, le sentiment anti-français repose sur la combinaison de trois choses :
La première, c’est qu’il y a une réelle difficulté de la jeunesse en Afrique à améliorer ses conditions de vie. Ces difficultés relèvent aussi de la difficulté des dirigeants de nos pays à proposer des solutions à leur jeunesse.
La deuxième raison est peut-être aussi lié au fait qu’historiquement la France a toujours privilégié les relations d’État à État, les relations institutionnelles, et mis en avant les grandes entreprises françaises en Afrique. Et donc la société civile s’est sentie, à tort ou à raison, exclue de cette relation. À un moment donné, la société civile ne s’est pas sentie partie prenante de cette coopération. Il faut le dire.
Et je pense qu’il y a un troisième élément qui est plus subjectif. C’est l’idée que chacun se fait du passé colonial et comment on l’intègre, comment on la reçoit. Il y a beaucoup d’imaginaires autour de la relation franco-africaine. La plupart des gens qui parlent du passé colonial ne l’ont pas vécu. Mais le fait qu’on ait encore du mal à en parler de part et d’autre nourrit les ressentiments.
Il est temps de se parler sans tabou. C’est la dynamique de ce sommet, lever les tabous pour envisager un New Deal, une nouvelle relation plus équilibrée de partenariat avec l’Afrique. Mais on ne peut le faire qu’en vidant le passé de ses non-dits. Ne pas en parler fait qu’on tourne en rond et qu’on n’avance pas.
Et puis, il y a le sujet de la diaspora. En réalité, il y a un mal-être des Français d’origine africaine. C’est vrai que les discriminations sont toujours d’actualité. Mais le vrai sujet, à mon sens, c’est l’égalité des chances. Les gens veulent avoir le sentiment qu’ils ont les mêmes chances que les autres Français, qu’ils disposent de tous les moyens pour améliorer leur quotidien et d’exister dans la société française. Je pense que ce sommet doit aussi répondre à ses attentes.
Il y a quatre ans, le président Macron déclarait qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Est-ce que cela ne brouille pas la compréhension de certaines prises de position de l’Élysée, notamment dans le champ politique…
Ce qu’il a voulu dire, c’est qu’on ne traite pas l’Afrique différemment des autres continents. C’est une relation d’égal à égal. Et pour cela, il faut vider la relation des non-dits. C’est ça, le sens de sa déclaration. Je ne veux pas rentrer dans un débat sémantique. Ce qui est important, c’est la rupture significative avec ses prédécesseurs. Évidemment, tout ne sera pas meilleur du jour au lendemain. Il y a une construction qu’il faut suivre. Aucun président français n’a fait autant, en si peu de temps, soit en un mandat de cinq ans.
Le contexte politique interne n’est pas plus serein avec des débats centrés sur l’immigration…
À mon avis, il ne faut pas se laisser embarquer uniquement dans les sujets de campagne où il faut traiter les sujets de fond. Et en ce qui concerne les débats sur l’immigration, ou la mobilité, il faut que nous ayons l’assurance raisonnable qu’il n’y a pas un blocus à l’entrée de la France, et que l’entrée de la France est toujours ouverte pour les étudiants africains. Même si, soyons honnêtes, si on part de l’hypothèse que la France doit accueillir et donner du travail à tous les étudiants, dire qu’il faut accueillir tous les étudiants africains, leur trouver du travail pour qu’ils restent en France, ce n’est pas non plus raisonnable.
Le but d’accueillir les étudiants, c’est de leur permettre d’avoir un accès à la France, il y en a certains qui vont rester, d’autres qui vont rentrer pour contribuer au développement de l’Afrique. On ne peut pas ériger comme modèle que chaque étudiant qui vient doit rester. Si on fait ça, on joue le jeu de l’extrême droite en France.
Afrika Stratégies France avec Le Point Afrique