Dans cette tribune, le journaliste et écrivain Max-Savi Carmel, fin observateur de la politique africaine, fustige les chefs d’Etat qui se sont tous rués à Paris, gaspillant leurs deniers publics, pour participer à ce sommet, qui aurait pu être organisé dans un pays du continent…
Une journée. Une trentaine de dirigeants africains et patrons d’organisations internationales. Tout le pré carré françafricain, déchaîné et enthousiasmé, mais surtout en haie pour accueillir, celui qui, ironie du sort, à 40 ans, est devenu leur maître. Enarque opportuniste à l’intelligence souvent remise en cause par son entourage, Macron était puérilement joyeux, au milieu de ses « homologues » dont certains ont le double de son âge. Enfin, presque. Alassane Dramane Ouattara, 79 ans, avait d’ailleurs, l’âge devenant lourd alors qu’il enchaîne avec un troisième quinquennat, du mal à marcher. Un véritable bal de subalternes autour du « Petit blanc » qui est maître de l’agenda. Pour Faure Gnassingbé, c’est la deuxième rencontre avec Macron entre avril et mai. Quel bonheur pour le dirigeant qui aura été, dans la sous-région occidentale de l’Afrique, le dernier à être reçu.
Ambassadeurs mobilisés, ministres et collaborateurs embarqués en villégiature et des Jets privés, Air Bus et Boeing venant des quatre coins de l’Afrique. Le président togolais a fait décoller son A319 que lui prêtre Mahamadou Bonkoungou, le sulfureux patron d’une entreprise de BTP non moins sulfureuse qui s’arroge à Lomé de géants chantiers. Alassane Ouattara a dépêché deux avions présidentiels, une petite partie de sa florissante et éclectique flotte. En une décennie, il a abandonné les Grumman et le Fokker 100 de Laurent Gbagbo pour un des appareils modernes et ultrasophistiqués devant lesquels le Boing 727, acquis dès le début de son règne en 2011 n’est qu’une guimbarde volante. Macky Sall, Muhammadu Buhari, Roch Christian Kaboré ou encore Nana Akufo-Addo, tous étaient sur leur 41. Perchés dans les illusions où l’usure du pouvoir et la platitude de l’ambition ont isolé certains d’entre eux. Seul le rwandais Paul Kagamé est resté modeste. Une délégation restreinte, à peine une dizaine de personnes. Pour la République démocratique du Congo, pas moins de trois avions alors que Félix Tshisekedi s’est passé du luxueux Boeing 707-138B de son prédécesseur, très superstitieux. Trop de millions gaspillés pour une hypothétique collecte de 1000 milliards € qu’espère mobiliser, comble d’utopie, Emmanuel Macron. Finalement, une journée et un retour rapide au pays pour beaucoup d’entre eux. Le togolais, un vrai passionné de l’air devrait faire un détour à Bruxelles. Entre temps, pour s’occuper, entre shopping à la folie et des restaurants huppés, Brigitte Macron a offert une balade en bateau à certains premières dames.
Et une envie, angoissante et triste, de se demander, tout ça pour ça ?
Mais le plus important pour ses dirigeants qui n’ont pas eu l’ingénieuse idée d’organiser un tel événement sur le continent, alors qu’ils pouvaient, entre quelques coups de fil le réussir, est de côtoyer le maître. Il y a, complexe oblige, un fantasme jouissif pour beaucoup de dirigeants africains dont les deux tiers sont mal élus, de se retrouver autour de leur ancien colon. Une sorte de syndrome de Stockholm mi-tropical, mi schizophrénique. Sinon, pourquoi ne pas organiser un tel événement en Afrique, l’un des continents les plus riches en ressources minières plutôt que de se livrer en une demi-journée de gaspillée, à cette lugubre foire aux aides, si ce n’est à la mendicité. Et le maître, colon bonapartiste et froid, comme s’il n’avait pas assez amusé la galerie, propose à la place des dirigeants africains la production de vaccins contre la Covid-19 sur le continent. Une hypothèse si surréaliste qu’elle fait tiquer certains d’entre eux.
Il s’agit, ni plus ni moins, d’une récréation de mauvais goût. En pleine covid-19, alors que les systèmes de santé de la majorité de ces pays sont déficitaires et en nauséeux état de délabrement. La question de l’inconséquence des dirigeants africains, de leur irresponsabilité, de leur pathologie collective qui fait qu’ils pensent à l’image que l’ex puissance coloniale peut avoir d’eux plus qu’à leurs pays, est paradoxale. Et alors que la plupart d’entre ceux francophones s’apprêtent à commémorer les 61e anniversaire de leur indépendance, une question juste et pertinente se pose. L’indépendance valait-elle la peine ? Ces pères de la Nation n’ont-ils pas sacrifier leurs idéaux, leurs combats, leurs visions, versé leur sang pour des successeurs plutôt imprudents, éhontés et crétinisés ? Ne valait-il pas mieux rester sous le giron français, en territoires ou départements outre-mer ? Pour moi qui voyage souvent dans les Antilles françaises, la question se pose. Avec remord et tristesse, mais elle vaut la peine d’être posée, peut-être avec plus de lucidité.
Dans quelques jours donc, alors que la plupart de nos dirigeants sont malades et rongés par la sénilité, ils rentreront après des check-up de routine dans des hôpitaux aux frais de leurs deniers publics arrachés à des populations qui doivent, en lieu et place de centres de santé, se contenter de mouroirs insalubres et « abyssalement » effrayants. Même pour des malades comateux dont certains, traumatisés par des plateaux techniques rudimentaires, se réveillent avant une malencontreux cisaillage.
Quelle tristesse, cette Afrique. Quelle scène de mépris de soi ? Comme si, au fil des années, les ADN de la honte et de la pudeur ont été altérés par des égos surdimensionnés et le narcissisme arrogant et gueux. Quelle tristesse, cette Afrique. Quelle honte ? Courage à la prochaine génération, elle héritera du pire et son défi improbable, sera d’en tirer le meilleur. Pari perdu, ai-je envie de clamer mais la voix me manque.
Afrika Stratégies France avec AP 21