En 2017, le 5è Sommet Union africaine (UA) – Union européenne (UE) à Abidjan, était placé sous le signe de « la jeunesse pour un avenir durable » et avait mis la question migratoire au cœur des débats, après la révélation des marchés aux esclaves dans une Libye en pleine crise politico-militaire par la chaîne américaine CNN. L’intensification des menaces terroristes au Sahel et l’arrivée de la pandémie de Covid-19 accompagnée par ses profonds impacts sociaux-économiques ont relayé la question migratoire au second plan des préoccupations euro-africaines.
Si la jeunesse reste au cœur des débats, l’heure est désormais au redressement des économies Nord-Sud. Relocalisation et raccourcissement des circuits logistiques sont devenus des priorités européennes, sur fond de défi sanitaire inédit. C’est dans ce contexte que le ministère des Affaires étrangères français organisait une réunion préparatoire au Sommet UA-UE, intitulée « Relations commerciales Union européenne-Afrique : vers de nouveaux partenariats », le 10 janvier dernier à Paris (un rendez-vous essentiellement dématérialisé). « L’UE souhaite demeurer à tous égards, le premier partenaire de l’Afrique sur le plan économique, commercial, mais aussi en matière de sécurité, d’aide publique au développement et humanitaire », a souligné Franck Riester, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’attractivité.
L’UE reste le premier partenaire multilatéral (les échanges commerciaux entre l’UE et l’Afrique ont augmenté de 20 % entre 2016 et 2020 pour atteindre 225 milliards d’euros), mais au niveau bilatéral, la Chine campe toujours la première place du classement (son volume commercial avec l’Afrique atteignait à lui-seul, 167,8 milliards de dollars de janvier à novembre 2020, selon le ministère chinois du Commerce). Cependant, aujourd’hui le vent tourne sur le continent…
L’UE profitera-t-elle de la perte de vitesse des routes de la Soie chinoises ?
En 2018, le géant chinois promettait 60 milliards de dollars à l’Afrique, « sans conditions », par la voix de Xi Jinping, à l’occasion du 7è Forum sur la coopération sino-africaine, mais depuis, la pandémie est passée par là.
Par ailleurs, la dette publique africaine a doublé entre 2008 et 2019 (passant de 28 % à 56 % du PIB) et, selon le FMI, plus d’une vingtaine de pays africains seraient en position de surendettement ou en passe de le devenir. Cette situation a conduit la Chine a freiné ses investissements en terres africaines, tout en y maintenant une diplomatie sanitaire active, promettant 1 milliard de vaccins au continent, en novembre dernier.
Alors que la China Development Bank et la China Eximbank préviennent qu’elles adopteront désormais des conditions de prêts plus exigeantes, Xi Jinping déclarait que la Chine réduira d’un tiers le montant des fonds alloués à l’Afrique sur les trois prochaines années, lors du dernier Forum sino-africain (FOCAC) de novembre, à Dakar. Cette décélération des investissements chinois en Afrique offre à Bruxelles et Washington (engagées dans une véritable guerre d’influence sur le continent avec Beijing) de nouvelles perspectives pour y renforcer leur présence.
Dans ce contexte, le président Macron, qui vient de prendre la présidence du Conseil européen, maintient sa volonté d’élaborer les bases d’un « new deal économique et financier » pour l’Afrique. Franck Riester a d’ailleurs réaffirmé le 10 janvier dernier depuis Paris que le Sommet UA-UE « constituera un moment décisif de la présidence française de l’Union européenne ». Le ministre a également rappelé la nécessité « d’une meilleure prise en compte des préoccupations -des- partenaires africains dans la négociation des APE régionaux [accords de partenariats économiques] ». Ce point est particulièrement attendu par Macky Sall qui prendra bientôt ses fonctions de nouveau président de l’UA et qui a d’ores et déjà averti qu’il en ferait l’une de ses priorités.
Les faiblesses de l’intégration régionale à travers l’exemple méditerranéen
Alors que les critiques sur les conditions de prêts controversées de la Chine font couler beaucoup d’encre dans les rédactions de Paris, Bruxelles ou Washington, les pays africains relèvent aussi un certain nombre d’écueils dans la relation UE-UA. Les facilités d’échanges entre les deux rives de la Méditerranée ont surtout favorisé les économies des pays membres de l’UE. « Lorsqu’on ouvre à la concurrence internationale, des économies dans lesquelles les entreprises n’ont pas réuni les conditions nécessaires pour s’ajuster et pour réagir, on sait qu’il ne faut pas s’attendre à des effets positifs, c’est clair », déclarait Patricia Augier, professeur à l’Université Aix-Marseille et économiste du développement, le 10 janvier dernier, revenant sur les limites prévisibles des accords d’association économiques conclus à la fin des années 1990 dans la zone de libre-échange euro-méditerranéenne (EUROMED).
En dépit de certains succès marocains (dans les industries automobile et aéronautique notamment), le bilan a de quoi laisser perplexes les observateurs de l’actualité macro-économique nord-africaine. « Les balances commerciales des pays méditerranéens se sont très fortement dégradées – et le – déficit commercial entre 1995 et 2017 a été multiplié par cinq (…) les taux de croissance moyen de l’ordre de 4% ont été insuffisants pour répondre aux besoins de création d’emplois et il n’y a pas eu de convergence des niveaux de vie entre les deux rives de la Méditerranée. Au contraire, on a une augmentation de l’écart du PIB par habitant entre l’Europe et les pays méditerranéens (…) Nous sommes arrivés à des niveaux incroyables. Il n’y a eu aucun progrès en termes d’intégration régionale, ce qui était l’un des objectifs de ces accords d’association », analyse la spécialiste de la région EMEA.
Pour Mohamed Sami Agli, président de la confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC), « le partenariat avec l’UE pour l’Algérie a été, quand on fait le bilan, plus ou moins inéquitable (…) Le niveau du commerce européen vers l’Algérie était très important, alors que les volumes algériens vers l’Europe, hors hydrocarbures bien entendu, étaient complètement inéquitables (…) Quel partenariat voulons-nous avec l’Algérie et avec l’Afrique ? La question doit être posée sur la table (…) On doit être certains que ces accords ne déboucheront pas sur des désaccords. Un accord doit être basé sur un principe gagnant-gagnant. On ne peut pas voir l’Afrique juste comme un fournisseur de matières premières ou un grand bazar où on viendra vendre toutes sortes de produits ».
Visiblement piqué au vif, le diplomate européen Léon Delvaux répond : « Je trouve un peu gênant ce qu’a dit Monsieur Agli. L’UE a, par le passé, et continue à le faire aujourd’hui, des propositions d’accords. Ce ne sont pas des ultimatums (…) Effectivement, on peut constater que certains développements ne sont pas aussi favorables aux deux parties qu’on aurait pu l’espérer au départ, mais notre approche a été, demeure et sera celle d’une approche où les deux parties se retrouvent », explique-t-il.
Les résultats de ces accords conclus avec l’UE et la multiplication des acteurs, notamment asiatiques, favorisent aujourd’hui de nouvelles revendications africaines pour soutenir un développement inclusif et pérenne qui s’appuierait sur le tissu économique local.
PME et TPE au cœur des priorités stratégiques de l’Afrique avec l’UE
« Il est temps de sortir d’une relation diplomatique aimable », déclare l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, appelant à une refondation complète de la relation euro-africaine. Sur ce point, tout le monde semble d’accord. Pour Patricia Augier, le postulat de départ pose problème. « Lorsqu’on parle d’intégration, cela réfère à la dimension commerciale (…) Doit-on viser une intégration commerciale ? De mon point de vue, pas du tout, car finalement, cela revient à confondre la finalité d’une politique économique avec l’un de ses moyens. Si nous continuons, nous allons dans le mur (…) Il faut une réflexion partagée, car jusqu’à présent, l’objectif de partenariat se confond avec les objectifs de l’UE. Ce ne sont pas des objectifs partagés ».
L’objectif premier du continent repose sur son industrialisation et sur le développement de ses chaînes de valeur locales via ses PME et TPE qui représentent « entre 85 % et 90 % du tissu économique », rappelle Mohamed Sami Agli. « C’est vers ces entreprises qu’il faut capitaliser le maximum de ressources et de moyens. Ces entreprises répondent à l’ancrage humain et au développement économique local. Le partenariat qui doit être revu entre l’Europe et l’Afrique -doit être- driver par ces questions », déclare-t-il, non sans préciser que « l’Afrique dont la population va doubler d’ici 2050 est un marché solvable ».
Placer les TPE-PME au centre de la nouvelle relation UA-UE est également l’une des priorités avancées le 10 janvier dernier par Mohamed El-Kettani, le PDG d’Attijariwafa Bank. « Nous avons un défi majeur qui consiste à redéfinir une vision commune -relative à des- domaines d’interdépendances et de défis à relever (…) Le premier axe repose sur l’emploi des jeunes et l’investissement avec un focus particulier sur les TPE, PME et PMI. Dans la culture du continent africain, elles jouent un rôle primordial dans la création d’emplois et l’inclusion des jeunes dans le circuit économique. Dans ce sens, les stratégies d’entrepreneuriat représentent un levier très important sur lequel l’Afrique devra travailler, notamment en coopération avec l’UE », précise le banquier marocain.
Aujourd’hui, l’Afrique exige de nouveaux accords commerciaux qui lui permettront d’accompagner son développement à la base, à travers la structuration de ses chaînes de valeur et le renforcement de ses ressources humaines pour répondre aux besoins d’une jeunesse qui croît de façon exponentielle. Cette stratégie rejoint par ailleurs, un objectif partagé par l’UA et l’UE, car l’emploi sur le continent impactera de facto les mouvements de populations vers une Europe où la question migratoire alimente les débats politiques, sur fond de crispations économiques.
Afrika Stratégies France avec La Tribune Afrique