Cible d’actions de forces de l’ordre chaque jour un peu plus musclées, l’ancien Premier ministre résiste dans son domicile du centre de Lomé, devenu son seul cocon de sécurité. Malgré les pressions et interventions de part et d’autres, Faure Gnassingbé veut prendre sa « revanche personnelle » sur un adversaire hostile à tout compromis. Soutenu par la diaspora et l’opinion nationale, l’économiste de 67 ans n’est pas à la fin de son calvaire. Au martyre, il semble psychologiquement plus que préparé.
« Sa victoire ne souffre d’aucun doute » murmurent quelques barons du régime, au pouvoir depuis 53 ans. Dans le camp de l’ancien président de l’Assemblée nationale, le chant de la victoire résonne, encore plus fort, « nous avons gagné, nous prendrons le pouvoir » martèle Brigitte Adjamagbo. Cheffe de la principale Alliance de l’opposition, la C14 qui a soutenu le candidat officiellement arrivé 2e, la patronne de la Convention démocratique des peuples africains (Cdpa) fait partie des derniers fidèles qui ne lâchent rien. Idem pour Mgr Kpodzro. A 90 ans, l’ancien archevêque de Lomé est le « pilier » de la dynamique éponyme au sein de laquelle il porte le titre de gratitude de « Patriarche » dont il s’accommode à merveille. Soutane en soie auréolée de la bordure vermeille réservée aux archevêques, son anneau épiscopal est privé, depuis quelques semaines, des baisers des ouailles qu’il ne déteste point, coronavirus oblige. C’est dans ce cercle devenu presque confrérique à la suite de soupçons de trahisons que se construit la résistance. »On ne lâchera rien » s’époumone Gabriel Dosseh-Anyron. Chef d’un mini parti politique, le Nid, il fait partie des soutiens de premières heures, parcourant les médias ruraux les plus reculés du sud du pays pour « vendre » son candidat. Une machine que les épreuves solidifient chaque jour qui passe. « On y arrivera ! » clame Fulbert Attisso. Ecrivain et ancien journaliste, cet idéaliste taxé de radical a été le coordinateur général de la campagne, une tâche qu’il a brillamment réussi, « avec si peu de moyens » comme insiste Agbéyomé Kodjo lui-même.
Un déchaînement de guerre
« Je suis dans un régiment militaire ici » rigole Agbéyomé Kodjo. Humour débonnaire et sérénité imperturbable, ce bon vivant déjeune sous la terrasse de son domicile avec quelques proches fin février. Deux jours plus tôt, sa maison a été encerclée pour la première fois. « Il cèdera, Faure ne tiendra pas » a-t-il juré la veille à un contingent de journalistes venu à sa conférence de presse. Mais ce stratège calculateur, craint par ses détracteurs, ne pouvait pas imaginer qu’en avril, il vivra une semaine pascale plus qu’infernale. « A l’exemple du Christ » s’amuse un jeune prêtre, qui, comme une partie du clergé catholique de la ville de Lomé, défile pour soutenir Mama. L’épouse du « président élu » qui a fêté ses 62 ans début avril est catholique pratiquante. Si elle remet « tout à Dieu », son mari préfère le combat. Alors qu’il n’a pas répondu à une seconde convocation de la gendarmerie, son quartier est bouclé. « Entre 500 et 600 soldats, un centaine de chars, blindés et véhicules militaires » panique un témoin alors que dans le ciel, un hélicoptère fait la ronde, avec quelques drones. Gaz lacrymogène, bastonnades de riverains, quelques sommaires arrestations, l’assaut final semble se préparer. A l’intérieur, Agbéyomé Kodjo n’a point peur. Prières, échanges avec ses plus fidèles, des appels de compassions qui pleuvent de partout, souvent de togolais anonymes qui soutiennent le combat. A quelques dizaines de mètres de la maison, l’armée installe un appareil pour brouiller la communication. Mais l’ancien Premier ministre se taille un plan de contournement et passe des heures au téléphone. Un appel au repli sera donné, en milieu d’après midi par le ministre de la sécurité. Un « appel de l’Elysée » aurait imposé le répit. Mais tout porte à croire qu’il ne sera que de courte durée. « Faure Gnassingbé veut en finir avec lui » chucotte un ministre du camp présidentiel selon qui, « on ne se contentera pas seulement de lui voler sa victoire« . Quelques semaines plus tôt, cette même source lui avait, sans succès, proposé des postes gouvernementaux et quelques milliards en échange de sa capitulation.
L’Elysée et la justice dans le jeu
« Mes avocats travaillent à plusieurs pistes judiciaires » annonce Kodjo après un pompeux salut de foule depuis sa terrasse. Aux côtés de l’ancien archevêque de Lomé qui a aménagé au domicile du « président élu« , les deux hommes savourent, après le départ de l’armée, les applaudissements d’une foulée déchaînée. Du jamais vu après une élection au Togo. Bien qu’absorbé par la gestion de la crise sanitaire en France, Emmanuel Macron suit la situation de près. Une situation qui préoccupe le pouvoir togolais d’autant qu’une cinquième demande d’audience introduite par Lomé II (présidence togolaise) est restée sans suite. Faure Gnassingbé est obsédée par une audience avec le président français et souhaite que cette réélection n’en favorise l’opportunité. Mais à l’Elysée, le Togo est suivi comme du lait sur le feu. « Les résultats frisent le ridicule, 70% » s’étonne un avocat proche de Macron qui constate « une impopularité grandissante depuis la crise de 2017 ». Les Américains ont, quant à eux, arrêter la mise en place du Millenium challenge account (Mca), un programme sociopolitique de plus de 400 milliards de Cfa (750 millions de dollars) sur lequel Washington travaillait avec Lomé. « C’est le Togo qui a renoncé de lui-même » s’écrie un membre du gouvernement sans convaincre. Dans le camp Kodjo, on dénonce « une tentative de corruption » depuis que Agbéyomé lui-même a fait part d’une proposition alléchante pour entrer au gouvernement. Ce à quoi la dynamique a opposé une fin de non recevoir. En attendant, le gouvernement a bloqué le paiement de la caution, des subventions de campagne ainsi que du remboursement des frais de campagne au prorata des scores. Une manière d’asphyxier financièrement un mouvement et un leader déjà essoufflés par une campagne menée sur des dettes. En attendant, Agbéyomé Kodjo qui multiplie des pieds et des mains pour faire intervenir Macron a son avantage a attaqué pour « vice de procédure » la levée de son immunité parlementaire obtenue en mars dernier par le procureur de la République de Lomé. Côté justice, un argumentaire qui dénonce l’absence « du principe du contradictoire » a été envoyé à Afrika Stratégies France. Le document fait cas « d’une demande en annulation » portée à la connaissance du parquet de Lomé.
Une issue ?
Plusieurs leçons s’imposent, depuis cette élection. Pour la première fois, après l’annonce des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle dont la totalité des membres est nommée par la majorité présidentielle, le président prétendument élu gère un musclé « service après vente« . Si la pandémie de Covid-19 et des décisions du gouvernement ont empêché les Togolais de se mobiliser massivement, la tension n’aura jamais été aussi vive. Des lettres de félicitations de plusieurs capitales occidentales ne semblent pas calmer la situation. Le candidat de la Dymanique Kpodzro persiste, donnant l’insomnie à un pouvoir qui, après un demi-siècle, agonise mais tient le coup. Faure Gnassingbé a investi pas moins de « trois milliards (5 millions de dollars, Ndlr) » dans la communication et la corruption des réseaux. Il a fallu, selon plusieurs sources concordantes, « mouiller (corrompre dans le jargon) des fonctionnaires » de Paris à Bruxelles et de Berne à Berlin pour obtenir des lettres de félicitations, plutôt protocolaires après chaque élection mais ici brandies en trophées de guerre. Si Agbéyomé Kodjo est ouvert à des discussions, il les veut « inclusives, transparentes et ouvertes à toute l’opposition ». Mais il n’entend pas lâcher sa victoire. Une exigence qui irrite le président sortant. Dans cette crise, Agbéyomé Kodjo, souvent accusé de duplicité a joué parfaitement sa partition. »Il me séduit remarquablement » confesse Brigitte Adjamagbo, admirative de sa détermination.
La résistance et cette crise auront été à l’avantage du candidat de la Dynamique. Si, ses pairs de l’opposition qu’il accuse de corruption semblent ne pas le soutenir, il est prêt à aller jusqu’au bout. Et malgré son âge, entend mener cet ultime combat. Un combat qui révèle aux Togolais son vrai visage, celui d’un homme de conviction et de détermination que certains de ses actes passés ont altéré.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France