TOGO : Après le départ polémique de Mgr Udaigwe, à la découverte des nonces apostoliques

Archevêques et diplomates formés à l’Académie pontificale ecclésiastique à Rome, ils sont une centaine dans le monde. Discrets, très introduits dans les milieux politiques et extrêmement informés, ces ambassadeurs en soutane représentent à la fois le Pape auprès des églises locales mais aussi le Vatican auprès des Etats de juridiction. Dans la foulée d’une crise post électorale, Mgr Brian Udaigwe qui représentait le Saint-Siège auprès du Bénin et du Togo est affecté au Sri Lanka. Alors que tout porte à croire que le prélat camerouno-nigérian est en fin de mission, Afrika Stratégies France profite de la polémique pour révéler quelques subtilités sur la diplomatie de l’Eglise catholique, à la fois sobre et complexe.

Samedi 13 juin. Le Vatican rend officielle à travers un communiqué la mutation de son ambassadeur au Bénin-Togo vers le Sri-Lanka. Publié en latin et en italien, le message est vite traduit en français. Mais au Togo où, après des fraudes massives, le président sortant a été déclaré gagnant en février dernier, à l’issue d’une chaotique présidentielle, on en a une toute autre interprétation. Son départ serait, ce qui est improbable, dû à « sa gestion catastrophique » de la présidentielle. La Conférence épiscopale du Togo a été obligée de démentir évoquant une « nomination à un nouveau poste par le Pape » dénonçant, à raison, « des rumeurs infondées » quant à son limogeage. Alors que son successeur sera probablement nommé pendant l’été pour prendre service à la rentrée, nous voulons lever un coin de rideau sur une mystérieuse corporation d’hommes en soutanes dont l’influence fait objet de fantasmes notamment dans les milieux politiques en Afrique et ailleurs.

Des ambassadeurs pas comme les autres

04 octobre 2019. Vendredi. Basilique Saint Pierre de Rome. Sans trop de bruit, le pape sacre trois évêques. Antoine Camilleri, Paolo Borgia et Paolo Rudelli. Ils sont tous, curieusement, italiens. A la même occasion ils seront élevés au rang d’archevêque, les trois seront dans quelques semaines ambassadeurs du Vatican en Ethiopie, en Côte d’Ivoire et Burkina Faso. Comme eux, une centaine de Nonces représentent l’Eglise et l’Etat du Saint-Siège dans le monde entier.  Ils sont tous des hommes. Aucune femme. Et la raison est simple, avant d’être nommé, il faut déjà être prêtre. Pour leur permettre d’avoir autorité sur tous les évêques de leur pays de mission, ils deviennent de fait archevêques par leur nomination. On retrouve parfois, parmi eux, quelques rares cardinaux. Leurs missions, représenter le pape auprès des évêques et de l’église locale et le Vatican, en tant qu’État, auprès des Etats. C’est grâce à eux que le pape s’informe au quotidien et est devenu, après le président américain, le chef d’Etat le plus informé du monde. Chaque matinée pendant un peu plus d’une heure, tombe sur son bureau des valises contenants des courriers et autres informations venant du monde entier. Un prêtre de campagne, un évêque, un espion mais surtout les nonces apostoliques. Entre déjeuners, sorties apostoliques, rencontres politiques, ils savent tout ce qui se passe et envoient des synthèses à la Secrétairerie qui se charge du tri pour le Vicaire du Christ qui ici, s’invite trop dans les affaires des hommes. Dans la pratique, Ils contribuent à la nomination des évêques en faisant des propositions documentées et remontent au Saint-Père toutes subtiles informations de terrains. Quelques fidèles catholiques, le plus souvent de l’Opus Deï ou de Sant’Egidio, dans les palais présidentiels, leur servent de relais. Une véritable machine à espionnage qui, compte tenu de la main d’œuvre de qualité disponible, ne coûte pas chère au Vatican dont le budget officiel ne passe pas, annuellement, les 300 millions d’euros. Même si le canon 364 de droit canonique de 1983 reste vague sur la mission, insistant sans précisions que  «  la charge principal du Légat pontifical est de rendre solides et efficaces les liens qui existent entre le Saint Siège et les églises particulières », dans la réalité, le nonce va largement au-delà. Il est d’ailleurs, conformément au Congrès de Vienne (1815) et la Convention de Vienne (1961), le doyen du corps diplomatique dans le pays de charge. Malheureusement, il a fallu attendre 1998 pour que Jean-Paul II fasse du premier prélat d’origine africaine, nonce apostolique.

Un cercle longtemps inaccessible pour les Africains

L’Afrique a pris du temps pour se tailler sa place qui grossit chaque jour un peu plus au sein de la diplomatie du Vatican. Il faut dire qu’aux portes de la très sélective Académie pontificale ecclésiastique qui, à Rome,  forme les membres du corps diplomatique de l’Eglise, les Africains ne se bousculent guère. Augustine Kasujja aura été le premier nonce apostolique d’origine africaine.  Depuis, cet Ougandais a connu une florissante carrière allant du Congo au Nigéria, de la Tunisie  Luxembourg,  avant d’atterrir, du haut de ses 74 printemps  en Belgique. Le Nigeria est le pays le mieux représenté. Au-delà de Brian Udaigwe qui est en poste près le Bénin et le Togo, Mgr Jude Thaddeus Okolo tient la Nonciature en Irlande après notamment le Sri-Lanka et la République dominicaine. Fortunatus Nwachuku, longtemps protocole du Pape Benoît XVI  domine le pacifique et les Antilles avec pas moins de 10 Etats de juridiction, après le Nicaragua en Amérique latine.   Le très respecté Léon Badikebele Kalenga était quant à lui en poste en Argentine, pays du Pape, avant que la mort n’emporte violemment ce congolais en juin dernier. Depuis Mai 2019, Mgr Novatus Rugambwa est ambassadeur du saint Siège dans les archipels de Fiji et de Palaos. A 62 ans, ce tanzanien a beaucoup d’avenir dans les couloirs diplomatiques de l’Eglise. Et compte tenu du nombre plus grand d’Africains qui sont à l’école romaine de la diplomatie du Vatican, le continent a de l’avenir dans ce mystérieux tuyau de diplomates.

Et Mgr Udaigwe dans tout ça ?

Les évêques du Togo viennent de finir leur 124e session ordinaire avec un message au ton très politique fustigeant l’absence des conditions pour une alternance politique dans le pays. Les prélats n’ont que peu digéré la dernière scandaleuse présidentielle dont ils ont dénoncé l’impartialité et le manque de transparence. Tous en bavette, à leur table, Mgr Udaigwe qui participe aux sessions en qualité d’observateur était absent. Compte tenu du Covid-19, l’ambassadeur du Vatican au Bénin-Togo n’a pas pu traverser la frontière du Bénin voisin où il réside officiellement. Aussi, est-il en train de faire sa valise pour Colombo où il remplacera, après quelques jours de vacances, Mgr Pierre Nguyen Van Tot qui fut d’ailleurs le premier nonce apostolique près le Bénin-Togo. D’abord, si l’idée d’une sanction du pape a fait long feu, il est évident que le prélat est en fin de mission d’autant qu’il a fait 7 ans au poste, une longévité tout de même. Nommé chargé d’affaires en novembre 1999, le vietnamien Pierre Nguyen Van Tot deviendra nonce apostolique en 2002 et ne fera plus que 3 années au poste. Et Mgr Blume August Michaël, l’américain, fera un peu plus de 7 ans. Ensuite, quand Rome veut sanctionner, il y a « un rappel dans la ville sainte pendant une longue période sans mission » rappelle un prêtre togolais en poste au Vatican. Il faut rappeler que les populations togolaises attendent beaucoup de l’Eglise, plus qu’elle en ait les prérogatives. Dans un pays où l’opposition politique a échoué à décrocher l’alternance face à une infernale dictature, l’Eglise est considérée comme une entité morale qui peut faire l’affaire. Ce qui a conféré au nonce des pouvoirs imaginaires et une complicité supposée avec le régime. Dans la réalité, l’ambassadeur du Saint Père a une vocation avant tout pastorale. Il représente le souverain romain auprès de l’épiscopat local plus qu’il ne représente un Etat auprès d’un autre. Mais l’amalgame est fait. Enfin, à cause de son voisin indien, ce poste  Srilankais est plutôt stratégique d’autant que la Nonciature y est implantée depuis la fin des années 1960. Il est tout de même reproché à Udaigwe de n’avoir pas suffisamment soutenu Mgr Kpodzro, archevêque émérite de Lomé, très engagé auprès de Agbéyomé Kodjo, challenger de Faure Gnassingbé lors de la dernière présidentielle.

A la chute des  Etats pontificaux à la fin du 19e siècle, c’est Mussolini qui signe, le 11 février 1929, avec Pietro Gasparri, Secrétaire d’Etat de Pie XI les Accords de Latran faisant du Vatican un pays à part entière. Pour l’anecdote, Mussolini qui ne prenait pas ces accords au sérieux et voulait garder la possibilité d’organiser des révoltes et manifestations contre le pape en cas de désaccords avait proposé à Pie XI de lui concéder  «  quelques centaines de milliers de citoyens ». Mais Damiano Achille Ratti alias Pie Xi lui a répondu  «  j’ai déjà du mal à gérer cette folle Eglise, je ne peux pas gérer une grève de syndicalistes».

MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France

 

 

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