Faure Gnassingbé a prêté serment ce dimanche. Si son élection, émaillée de fraudes abondantes et d‘irrégularités notoires a été contestée aussi bien par son principal challenger, Agbéyomé Kodjo que par la société civile et plusieurs chancelleries, il fonce droit dans le mur. Entre terreur, harcèlement des membres de la Dynamique Kpodzro et les coups de force, il s’obstine à aller jusqu’au bout, exposant son 4e mandant à toutes incertitudes.
En comité restreint, sous la tente attenante à Lomé II, son domicile officiel, le président togolais prête serment, jurant, toute pudeur bue, sur une constitution qu’il n’a de cesse de violer depuis 2005. En face, quelques proches, des députés de son camp, ses ministres et bien évidemment une partie des diplomates accrédités dans le pays. Pourtant, dans tous les esprits, sa défaite ne fait aucun doute. Mais entre temps, après une courte arrestation sanglante et spectaculaire de Agbéyomé Kodjo, arrivé officiellement 2e et que l’opinion tient pour gagnant, la justice lui a imposé des restrictions que l’ancien Premier ministre évite d’évoquer, « ne s’étant engagé à rien » selon son entourage. La Dynamique qui l’a porté à la victoire compte encore 17 de ses membres, jetés en prison et pour la plupart, sous coup quotidien de torture. Et chaque jour qui passe, les forces de l’ordre ciblent et en arrêtent quelques uns. C’est le cas de Adabadji Bernadette, présidente de la Synergie des jeunes patriotes ( Syjep), membre actif de la Dynamique KPODZRO, enlevée le dimanche 2 mai à 18 heures à Lomé, la capitale.
Alors que les américains ont suspendu le Millenium challenge account (Mca) ainsi qu’une parade militaire entre des officiers togolais et une force d’élite américaine aux Etats Unis, et que l’Eglise catholique met la pression sur le régime pour une solution politique de sortie postélectorale, la chasse à l’homme continue. Pour ce mandat qui est avant tout, celui de toutes les incertitudes.
Des conditions de contrôle judiciaire qui n’ont pas de sens
Lors de sa libération dont il n’était pas demandeur, dans ses bureaux au Palais de la justice, le Doyen des juges d’instruction lui a lu une série de restrictions dont notamment l’interdiction de quitter le territoire national sans son autorisation préalable, s’abstenir de remettre en cause les résultats du scrutin du 22 février 2020 et l’ordre constitutionnel et institutionnel. Une interdiction qui n’a pas empêché Agbéyomé Kodjo, qui préfère compter sur l’immunité populaire de faire son adresse à la Nation, lors de la commémoration des 60 ans d’indépendance de son pays. L’objectif poursuivi par le pouvoir en place étant d’empêcher le principal rival de Gnassingbé d’évoquer l’objet du contentieux électoral, et de réclamer sa victoire qui est évidente car selon la Dynamique la Commission électorale, dans la nuit du dimanche 23 Février 2020, au moment de la proclamation des résultats provisoires, n’a pas réuni les procès verbaux des 9383 bureaux de vote, 24 heures après le scrutin, sur l’ensemble du territoire national, et ceux des commissions électorales d’ambassades, comme le dispose la loi électorale.
En réalité face au raz de marée de la Dynamique il fallait proclamer en hâte des résultats fictifs pour déjouer une défaite annoncée.
« Cette interdiction n’a aucun sens et ne sera respectée par personne » a déjà prévenu la Dynamique Kpodzro même si jusque-là, Agbéyomé Kodjo a évité des sorties importantes pour retrouver le calme après sa spectaculaire arrestation. Il s’exprimera, au moment venu et sans doute très rapidement, sur la suite à donner à ces interdictions. D’autant qu’elles sont purement et simplement politiques et n’ont aucune base juridique. Il continue aussi son combat sur le plan juridique et n’écarte pas la saisine d’institutions régionales et continentales. D’ailleurs les récentes décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp), en faveur de l’ancien président du parlement ivoirien, dans une affaire qui opposait Guillaume Soro et l’Etat a de quoi donner des ailes à l’ancien Premier ministre togolais. Quelques jours plus tôt, la même cour a demandé la suspension des élections municipales prévues le 17 mai au Bénin pour « préjudice irréparable« . C’était là encore, en faveur de Sébastien Adjavon qui était auteur de la saisine en question. Depuis, toutes les portes restent ouvertes même si, n’écartant aucune suite, Agbéyomé Kodjo ne semble encore avoir pris aucune décision.
La pression américaine et la chasse à l’homme
A l’heure actuelle, à part le Vatican qui n’a pas une coopération bilatérale avec le Togo impliquant des aides ou investissements, les Etats-Unis restent les seuls pays à maintenir la pression. Non seulement le Millenium challenge account, programme américain d’aide et de développement est suspendu alors qu’il était près d’aboutir, mais un autre incident anonyme a eu lieu, début mars. Des officiels en mission à Washington n’ont pas eu de visas malgré la note verbale et les passeports diplomatiques et de service. Mais quelques semaines plus tard, les vignettes leur ont été collées dans leurs passeports. Washington qui ne donne pas d’explications dans sa gestion des visas n’en a pas fourni au pouvoir togolais. Aussi, un stage élitiste regroupe chaque année de jeunes officiers togolais et des soldats américains pour un recyclage et une remise à niveau notamment dans les renseignements, la lutte contre le terrorisme et la gestion des crises humanitaires. Prévu initialement en octobre 2020, ce séjour militaire qui devait concerner une vingtaine de militaires togolais a été reporté sans raison et sans lien avec le Covid-19 qui sévit dans le monde et aux Etats-Unis. Mais ce qui est le plus scandaleux, c’est la chasse à l’homme ciblée dont est accablée la Dynamique Kpodzro qui a soutenu la candidature de Kodjo. A l’heure actuelle, des cadres du Mouvement patriotiques pour la démocratie et le développement (MPDD), des conseillers du président, quelques collaborateurs ainsi que des chefs de partis partenaires sont encore détenus. Soit 17 personnes au total dont Targone, président d’un micro parti (DSA), soutien qui, comme la plupart de ses codétenus, est soumis à de la torture au quotidien. Alors que les Togolais croyaient à l’accalmie, à la veille de la prestation de serment, Mme Dabadji Bernadette, présidente de la Synergie des jeunes patriotes et très proche de la Dynamique a été, sans raison, arrêtée et détenue au secret.
Le mandat de toutes les incertitudes
C’est dans ces conditions d’incertitude que Faure Gnassingbé prête serment. Un non événement pour beaucoup de Togolais qui suscite, même au sein de ses pairs, des agacements. Les Etats Unis et Nigeria avaient voulu que l’événement soit reporté, le temps d’une tentative de discussion entre le président sortant et celui démocratiquement élu. Le Béninois, avec qui Faure Gnassingbé entretient de mauvaises relations pense aussi qu’une sortie de crise passe par une concertation entre les deux camps. Il faut rappeler que depuis que Faure Gnassingbé apporte facilités et honneurs à Yayi Boni, ancien président du Bénin et ennemi juré de Patrice Talon, donne un passeport diplomatique à Komi Koutché, ancien ministre des finances récemment condamné à vingt ans de prison par une justice béninoise à solde, et protège Reckya Madougou, virulente critique de Talon, le torchon, à défaut de bruler, fume entre Cotonou et Lomé. Si Patrice Talon visiblement n’a apporté aucun soutien à l’élection de Agbéyomé Kodjo, il ne voyait pas non plus d’un mauvais œil le départ de Faure Gnassingbé d’autant que séjournant par deux fois à Lomé l’été 2017, dans la foulée des manifestations montres contre le président togolais, son homologue béninois lui avait proposé « de ne pas se représenter en 2020« . C’était lors d’une entrevue à l’aéroport Gnassingbé Eyadema puisque compte tenu de l’insécurité ambiance instaurée par les manifestations, Patrice Talon n’a pas pris le risque de se rendre à la présidence togolaise.
Si le président togolais pense, par cette prestation de serment, mettre le monde devant le fait accompli, rien n’est joué. Il doit faire face à des frustrations au sein de l’armée depuis que des officiers Losso, ethnie du nord du pays dictent leurs lois aux kabyè, ethnie du chef de l’Etat qui pensent qu’ils jouissent d’un monopole naturel sur la grande muette. A l’heure actuelle et bien que quelques bouteilles de champagne arroseront, la triste prestation, tout peut arriver et à tout moment, surtout quand, sûr de lui-même, le chef illégitime sombre lentement, dans l’insouciance et l’inconséquence. « Qui sème le vent récolte la tempête« , dit l’adage mais qui sème la tempête est emporté par le vent.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France