Préparée par Brian Udaigwe, cette visite demandée par le président togolais a été mal vécue par les évêques qui n’en ont pas été informés. Remonté contre Mgr Philippe Kpodrzo devenu sa bête noire, Faure Gnassingbé voulait être assuré mais aussi rassurer sa mère, Sabine, catholique pratiquante et inquiète des critiques acerbes de l’archevêque émérite de Lomé. Depuis, tout est rentré en ordre d’autant que le Togo dispose de 30 milliards dans les ruines de la banque du Vatican. Et le fait que l’homme fort de Lomé soit allé en « célibataire endurci » ne pose pas problème au droit canon. Explications !
L’une des dernières dictatures à disposer de réserves financières à la sulfureuse banque du Vatican, le Togo a des relations privilégiées avec le Saint-Siège. Sauf que le récent séjour de Faure Gnassingbé indispose la conférence épiscopale alors qu’elle a été soigneusement préparée avec le Nonce apostolique sans qu’aucun évêque local ne soit associé. Une manière pour le président togolais de smasher des prélats qui sont majoritairement hostiles à sa politique interne pendant que l’un d’entre eux, Mgr Kpodzo est devenu l’icône des critiques de plus en plus acerbes à son encontre. Si pour des raisons de convenances, Gnassingbé Eyadema, ex-dictateur sept étoiles (qui aura totalisé 38 ans au pouvoir) et père de l’actuel président préfère la sympathie des hommes de Dieu, son fils qui, sous l’influence de sa mère se réclame d’obédience catholique ne s’en accommode guère. Sauf que la persistance de Mgr Kopdzro a commencé par l’inquiéter notamment depuis que toutes les tentatives pour « calmer » le vieux prélat ont été vaines. Alors, pour être tranquille, Faure Gnassingbé s’est déplacé au Vatican. Une manière de prendre de l’avance.
Comment s’est préparée la visite ?
Le Vatican est un Etat. 0,44 km2 auxquels il faut ajouter des résidences dans le sud de Rome, logeant cardinaux et services spéciaux. Ce fait est lié aux Accords de Latran (1929) signés entre Mussolini et le cardinal Pietro Gasparri, secrétaire d’Etat de Pie XI. Quand un chef d’Etat se rend au Vatican, il est reçu par le souverain pontife en qualité d’homologue. C’est d’ailleurs pour cela que chaque visite fait suite à « l’invitation de sa sainteté« , thème plutôt protocolaire d’autant que dans le cas d’espèce, elle a été sollicitée avec insistance par le président togolais. En effet, si les sorties persistantes de Mgr Kpodrzo dérangent Gnassingbé qui confie « ne pas en dormir« , sa mère, Sabine Mensah, catholique de courant franciscain et marial et proche des moniales (femmes moines) clarisses ( de la route de Kpalimé, à 20 km de Lomé) en est très agacée. C’est sur son insistance que son fils a voulu profiter d’un échange avec le successeur de Pierre pour mettre les choses au clair. Il en a fait personnellement la demande à Mgr Brian Udaigwe qui en a aussitôt informe le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat (premier ministre et chef de la diplomatie du Saint Siège). Le vicaire du Christ n’y trouvait pas d’inconvénient d’autant que Jésus a exhorté ses apôtres à accueillir les pécheurs. Multipliant massacres aux élections et lors de manifestations, Faure Gnassingbé est dans la meilleure posture pour être jeté à l’eau bénite, quitte à l’absoudre d’une partie de ses péchés. Encore qu’il y est allé en célibataire alors que la tradition veut que le successeur de Pierre accueille dans la Bibliothèque du Vatican des dirigeants et leurs conjoints. Le nonce apostolique a par contre veillé à ne rien laisser pressentir par les évêques togolais, respectant la discrétion voulue par Faure Gnassingbé. Car c’est le représentant du chef des catholiques auprès de chaque état qui prépare une telle visite. Mais qu’est-ce qu’un nonce apostolique ?
Ambassadeur et légat à la fois
Un nonce apostolique est un ambassadeur pas comme les autres. Il est un diplomate classique et un peu plus d’autant que l’idée d’ambassadeur est partie de légats du Pape (représentants du Saint Père) qui deviendront plus tard les nonces. Ils sont tous des évêques avec rang d’archevêque pour pouvoir traiter d’égal à égal avec les métropolitains. Sauf qu’au-delà de la délégation auprès d’une capitale (politique) comme on dirait « ambassadeur de France près Lomé », le nonce est à la fois nommé près des autorités politiques mais aussi et surtout auprès des évêques d’un pays de légation et par ricochet, le peuple de Dieu qui y vit. On dira donc « Nonce apostolique près le Bénin » et non « près Cotonou » comme on le dirait pour un ambassadeur ordinaire. Il fait le lien entre le pays et la Cité du Vatican, comme Etat mais aussi entre les évêques et le pontife comme évêque de Rome dont la primauté est une évidence canonique. Il est chargé, le nonce, de relations bilatérales mais aussi apostoliques d’où son implication dans la nomination des évêques. D’origine nigériane, Mgr Udaigwe a été nommé en avril 2013 par l’actuel Pape dans la foulée de son élection. A 54 ans, ce natif du Cameroun est plus souple à l’égard des chefs d’état que son prédécesseur, Michaël August Blume. Le prélat américain crachait, sans gangs diplomatiques, ses vérités… A l’image d’un certain Benoît XVI.
Pourquoi la visite de Faure Gnassingbé pose problème
Pour plusieurs raisons. D’abord, parce que généralement, un chef d’Etat qui se rend au Vatican informe, par courtoisie, les évêques et souvent, s’y rend avec un ou quelques uns d’entre eux. Dans le cas d’espèce, alors qu’il a tenu pendant longtemps, grâce aux réseaux de Awadé Ingrid, influente femme du président, Mgr Alowonou et Ignace Marie Alphonse Talkéna, le chef de l’Etat togolais a perdu tout contrôle de la conférence épiscopale. L’évêque de Kpalimé qui préside la conférence des évêques s’est rétracté pour avoir été roulé, à deux reprises au moins, dans la farine par le président qu’il appelait affectueusement « mon fils« . Quant à l’évêque émérite de Kara, il est mort depuis quelques années. Influencée par Mgr Barrigah, évêque d’Atakpamé (160 km de Lomé) et ancien diplomate du Vatican, la nouvelle équipe des évêques est plus hostile que jamais. Ensuite, les évêques n’ont été informés que comme tout le monde, par la presse. Une manière pour Faure Gnassingbé de leur dire, « le chien aboie, la caravane passe« . Sauf qu’ici, les chiens sont en robe blanche avec calotte rouge. Pas des carnivores comme les autres. Enfin parce que faisant la sourde oreille face aux appels des prélats et refusant obstinément de recevoir Mgr Kopdzro qui a fait une demande d’audience et pour qui il voue une haine ardue, le président togolais aurait dû se réconcilier avec lui avant cette visite qui est avant tout un acte de pénitence avant d’être celui de la diplomatie. Mais si Faure Gnassingbé y est parvenu, c’est aussi grâce à la colossale somme dont dispose le Togo à l’Institut des œuvres de religion (Ior), banque du Vatican et qui avoisinait les 150 milliards CFA sous le règne de Eyadema. Le Togo est encore l’un des rares Etats à avoir une cagnotte d’environ 30 milliards CFA, 50 millions de dollars, aujourd’hui. La différence ? Si une partie est allée en aumône pour plaire à Jean Paul II, la grande part a été transférée de banques en paradis fiscaux et cela fait bien partie des causes de la détention de Kpatcha Gnassingbé, demi-frère du président togolais détenu en prison depuis une décennie dans une nébuleuse affaire de coup d’état.
Mais l’idée de mandat présidentiel de 7 ans dans les réformes en cours au Togo pour permettre à Faure Gnassingbé de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034 devrait indisposer le Pape François qui a passé sa vie à combattre les dictatures. Ce 29 avril, en la fête de la très influente Sainte Catherine de Sienne, le Pape argentin aura reçu l’un des pires dictateurs en devenir, sans le savoir forcément. Comme quoi, chuchoter à l’oreille de Dieu ne suffit pas à avoir l’oreille des hommes. En attendant, Mgr Kpodzro appelle les togolais à la mobilisation contre les relents dictatoriaux du président.
MAX-SAVI Carmel, Paris, Afrika Stratégies France