Initiée à l’unanimité des 9 partis encore membres de la coalition à l’époque, la rencontre du 20 mars aura été bien préparée par les délégués ainsi que Faure Gnassingbé lui-même. Mais elle aura aussi précipité le départ de l’Alliance nationale pour le changement (Anc) de la C14. Les-à-côtés d’une audience qui devrait être suivie d’autres dans les prochains mois.
Dès le début de rencontre, Faure Gnassingbé qui devrait se rendre à Kara (420 km de Lomé, la capitale) en milieu de journée pour un séminaire gouvernementale qui s’ouvre le lendemain pose la question de la médiatisation. Comment voulez-vous qu’on évoque, dans les médias, cette rencontre ? Un silence suit la question inattendue, les opposants se regardent, embarrassés. Le chef de l’Etat improvise une idée. « Pour être efficace, on en parle pas, sauf à faire un communiqué…« . La veille pourtant, un mini plan de com a été déposé sur le bureau présidentiel, pour présenter cette rencontre comme « une occasion pour l’opposition de se racheter » de sa mauvaise décision de boycotter les dernières législatives. L’objectif de cette stratégie, faire passer dans l’opinion l’image confortable d’un président normal, occultant les relents despotiques qui planent sur le scrutin unilatéral du 20 décembre dernier. Si elle a été cordiale, cette rencontre a précipité le départ de l’Anc de la coalition alors que jusque-là, Jean Pierre Fabre rassurait ses partenaires de la C14 d’une « continuité du combat dans le cadre de la coalition, quoiqu’il arrive« . Sous la pression de Eric Dupuy qui fera signer à Patrice Lawson, hésitant, un communiqué, la principale formation de l’opposition claque la porte au regroupement qui a été pourtant mis en place autour d’elle.
Les coulisses de la rencontre
Regroupés dans la station d’essence Total de GTA en banlieue nord de Lomé, les 7 leaders se sont rendus à la présidence, à quelques dizaines de mètres à vol d’oiseau. Trois minutes d’attente dans une salle où ils sont seuls et le face à face débute rapidement. Faure Gnassingbé, assisté de quatre ministres dont le premier ministre et le ministre des droits de l’homme, plante le décor et leur donne la parole. En face du président qui dispose d’un stylo et d’un bout de papier dont il ne fera usage à aucun moment, les opposants en ordre de prise de parole. Antoine Foly, chef de la délégation, Apévon Dodji, président des Forces démocratiques pour la République (Fdr) Aimé Gogué de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (Addi). Peu avant, les rôles étaient répartis. Le président du Fdr devait évoquer les questions sociales et juridiques (déplacés, détenus politiques) et celui de l’Addi les réformes. Le chef de l’Etat accepte toutes les doléances, propose que d’autres échanges du genre permettent d’en déterminer le contenu. Il a instruit immédiatement le ministre de l’administration pour « une ouverture des inscriptions sur la liste électorale » et a promis des réformes d’ici mai. Sans autres précisions. Pendant un peu plus d’une heure, plusieurs sujets sont passés en revue. La discussion est plutôt cordiale et bons sourires. Le chef de l’Etat appelle chacun par son nom. Quelques minutes avant, il reçoit quelques notes sur les 2 autres délégués. Sambiri Targone des Démocrates socialistes africains (Dsa), et Pascal Adoko notamment alors qu’il connaît bien Komi Wolou du Parti socialiste pour le renouveau (Psr). L’idée d’un rafraichissement avait été à l’ordre du jour avant d’être écartée, « ils sont déjà éclaboussés par une histoire de 30 millions non ? » ironise le président avec le ministre Boukpessi. L’opposition aussi ne voulait que d’une rencontre « strictement politique » sans familiarité même si Antoine Foly, qui aura été ministre de Faure Gnassingbé le connaît bien et entretient avec certains barons dont Gilbert Bawara une relation « plus qu’amicale« . A la fin et comme à de rares occasions, le chef de l’Etat les raccompagne à travers plusieurs couloirs, jusqu’au perron, resserre les mains et lance, taquin, « si vous voulez me revoir, je suis disponible« . Il regrette ne pas pouvoir rester au moins 2h avec eux. L’Anc et le Parti des togolais (Pt) ont décliné au dernier moment leur participation à la rencontre.
Tout est allé si vite
La décision a été prise à l’unanimité des neufs partis encore membres à l’époque de la C14, une coalition de 14 partis politiques de l’opposition togolaise. Après avoir déploré un dialogue triangulaire entre eux et le parti au pouvoir, par l’entremise de facilitateurs qui n’a pas permis des échanges directs, les leaders des partis concernés sont convenus d’une audience avec Faure Gnassingbé, 53 ans et au pouvoir depuis bientôt 15 ans. Le lundi 18, une lettre part au secrétariat présidentiel, signée de Antoine Foly, président de l’Uds-Togo et qui assumait l’intérim de Brigitte Adjamagbo Johnson, coordonnatrice de la C14, depuis son séjour aux Etats Unis pour des « raisons professionnelles ». La demande une fois reçue Faure Gnassingbé consulte quelques un s de ses collaborateurs, organise une série de consultations et insiste pour qu’une réponse parte dans « les prochaines heures ». Ainsi, le lendemain, Antoine Foly reçoit un appel pour « aller retirer la réponse du chef de l’Etat« . Une réunion préparatoire a lieu dans la foulée, puisque la rencontre est prévue pour le 20 mars. Tout est allé très vite parce que le président togolais, qui sortait d’élections législatives non-inclusives auxquelles l’opposition n’a pas pris part voulait de son côté, saisir la main tendue. L’image de leader de la majorité et d’opposants discutant amicalement et tout sourire peut détendre une accalmie trop précaire. Mais effet immédiat de cette rencontre, Jean Pierre Fabre qui, à son domicile de Nyikonapoe reçoit quelques sms de deux délégués se serait agacé de la facilité avec laquelle l’audience a eu lieu. Depuis 3 années, l’ex chef de file de l’opposition a introduit deux requêtes restées sans suite. La diligence de Faure Gnassingbé a recevoir l’opposition apparaît donc comme un mépris. Il décide de prendre sa distance en annonçant avant la fin de la semaine le retrait de l’Anc de la coalition. Ce qu’il fera dans la foulée.
Au pouvoir depuis 2005 ayant succédé à son père, ex dictateur qui aura dirigé le pays d’une main de fer pendant 4 décennies, Faure Gnassingbé brique un 4e mandat malgré les contestations qui ont, depuis un an, embrasé tout le pays. Réélu en 2010 et en 2015 à la suite d’élections dont les fraudes sont dénoncées par l’opposition et l’Union européenne, il affrontera sans doute Jean Pierre Fabre, 66 ans et opposant historique lors d’une présidentielle prévue à la fin du 1er trimestre 2020. Après 14 ans d’exil, François Boko, un ancien baron qui a annoncé son retour au pays pour fin mars sera aussi candidat. A un an du scrutin, le jeu reste donc ouvert.
MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Lomé, Afrika Stratégies France