Dans une affaire sans tête ni queue, qui semble ne correspondre à aucune logique, deux journalistes ont été condamnés par le tribunal de Lomé à trois ans de prison fermes, la semaine dernière. Une première depuis de nombreuses années mais qui entre dans une succession de faits qui font craindre le pire pour la presse locale. Mais faut-il vraiment s’inquiéter pour les médias qui constituent, avec les partis et mouvements d’opposition, le socle de la résistance dans un pays longtemps autoritaire ?
La question vaut la peine d’être posée. Car, avant que Ferdinand Ayité, célébrissime journaliste d’investigation et Isidore Kouwonou, son acolyte et rédacteur en chef ne soient condamnés mi-mars à trois ans de prison, Liberté, le plus grand quotidien privé du pays a été, dans une affaire qui l’oppose à la Première ministre, Victoire Dogbé, soumis à une interdiction de paraître de trois mois. Une décision prise par la controversée Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), l’équivalent de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en France. Sauf qu’ici, ayant délibérément compris à tort la mission que la constitution lui a dévolue, la Haac est devenue une gendarme des médias au profit du pouvoir. Bref, une sorte de Commission de riposte et de soutien systématique au régime, se discréditant au fur et à mesure de ses contestables décisions et se mettant à dos les médias dont elle est devenue l’ennemi numéro un. Dans le cas de Liberté comme dans d’autres, la décision de la Haute autorité a été invalidée par la Cour suprême.
Et depuis, avec d’autres attaques contre les médias, la frénésie s’empare de la presse privée qui a connu, ces dernières années, des départs de ses professionnels et des exils forcés. C’est sans aucun doute le cas de Ferdinand Ayité qui n’aura plus de choix que de s’établir en Europe où il devrait être depuis plusieurs jours. Le départ, sinon la fuite d’un si bon journaliste n’est pas qu’une perte pour la presse mais surtout une source d’inquiétude pour une corporation dont la solidité financière a été éprouvée par la crise de la pandémie de covid-19 mais aussi fortement fragilisée par le manque de formation de ses acteurs. Et dans ce contexte de professionnalisme parfois approximatif, ce sont les meilleurs qui sont contraints à l’exil, ce qui risque, à moyen terme, de ruiner une profession qui, en ce qui concerne le Togo, a du mal à s’adapter aux mutations structurelles et technologiques.
A deux ans d’une élection présidentielle (2025), généralement source de discorde, le lavage à sec des hommes de médias présage d’une stratégie d’intimidation et de musèlement d’autant qu’à défaut d’une opposition structurée et efficace, les journalistes sont devenus les derniers remparts contre les dérives systémique du régime. Cela d’autant que récemment, l’adoption du code de numérique confond délibérément journalistes et activistes de réseaux sociaux afin de fragiliser obstinément la protection dont bénéficient les journalistes professionnels et garantie par la constitution. En assimilant, au bon vouloir du juge, souvent acquis au pouvoir, journalistes et activistes, la loi expose ainsi les premiers à des peines privatives de liberté pourtant prohibées par le code de la presse depuis deux décennies. Cela revient à contourner habillement une disposition plutôt noble, sans l’abolir, de peur d’égratigner l’image d’un régime sensible à son apparence extérieure.
Il y a une réelle crainte, dans un contexte sous régional de secousses politiques endogènes aux régimes établis, que ces attaques contre la presse ne s’inscrivent dans un ensemble harmonieusement pensé et cohérent pour rétrécir les libertés publiques. Car, l’avènement d’un pouvoir en subtile « dictatorisation » au Bénin mitoyen et la multiplication de juntes militaires dans d’autres pays voisins peuvent précipiter au Togo un relent autoritaire. L’ambiance sous régionale d’une régression collective atténuant superficiellement la gravité des atteintes aux droits et libertés. C’est pourquoi les pressions doivent rester maximales sur Lomé, avec un accompagnement de la presse par des formations qui concourent à son adaptation aux nouvelles mutations de l’espace médiatiques avec la prolifération des nouveaux médias.
L’un dans l’autre, la liberté de presse, longtemps plus ou moins garantie est menacée. L’irruption des attaques contre la presse, dans un contexte africain de journalistes assassinés au Rwanda et au Cameroun et de nombreuses arrestations arbitraires d’hommes de médias en Algérie, au Soudan, en Ethiopie ou ailleurs, inquiète davantage. Il est temps que les chancelleries occidentales accréditées dans le pays, le système des Nations Unies, l’Union européenne mais aussi les organisations de la société civile s’en inquiètent et interpellent, à l’occasion, les pouvoirs publics. L’alerte a été donnée par le classement 2022 de Reporters Sans Frontières qui a fait perdre 26 points au pays, un record dans la décrépitude dans tous les classements confondus.
MAX-SAVI Carmel*, Afrika Stratgies France
*Longtemps acteur et observateur de la presse togolaise, l’auteur est journaliste d’investigation et rédacteur en chef d’Afrika Stratégies France. Il a créé et animé pendant une décennie Tribune d’Afrique, bimensuel sous-régional interdit en 2010 au Togo définitivement à la suite d’un court procès de quelques minutes.