Incontournable pilier de l’administration présidentielle togolaise, Sandra Johnson ne lâche rien de son œil perfectionniste. Secrétaire générale et directrice de cabinet par intérim de Faure Gnassingbé, elle est, dans la discrétion qui la caractérise, au four et au moulin. A 42 ans, cette docteure en sciences économiques a reçu deux distinctions la veille de Noël à Abidjan, une reconnaissance qu’elle dédie au Togo et à son président. Portrait d’une femme qui a des couilles.
Alors que le bâtiment principal de la nouvelle présidence à Lomé est en travaux, c’est dans l’annexe, l’immeuble bleu qu’elle a élu temporairement bureau. Et si une partie de son immense agenda s’y déroule, elle a aussi un pied à terre de travail à Lomé II, résidence présidentielle où travaille Faure Gnassingbé et où se tiennent les Conseils des ministres. C’est désormais là-bas qu’elle s’affaire, dans l’ombre du président sur les grands dossiers. Assumant l’intérim de la direction de cabinet, en charge du climat des affaires auprès du chef de l’état, influent membre du Conseil présidentiel pour l’investissement, et coordinatrice adjointe de la cellule Millenium Challenge Account, elle est une touche à tout qui accumule, sans retentissement médiatique, ici et là des succès, à sa discrète image. Les distinctions, « Prix spécial pour le développement et la promotion de l’investissement privé au Togo » et « Prix du leadership féminin au Togo » que lui a décerné le 23 décembre l’Observatoire africain pour la promotion de la bonne gouvernance projettent à la lumière une femme qui a toujours opté pour l’ombre. Délibérément !
Un parcours prédestinant
C’est avec humilité et surprise qu’elle reçoit les deux distinctions, presqu’embarrassée. Sa symbolique dédicace fut sans surprise, « à Faure Gnassingbé » mais aussi le Togo que ce dernier lui a donné l’occasion de servir. Et à qui, elle s’obsède, en privé, à exprimer sa gratitude. Si ces prix sont perçus comme le couronnement d’une carrière sans pareil, ils décorent une femme que ses truculentes expériences et formations prédestinaient. Diplôme d’études supérieures spécialisées (Dess) en sciences économiques à l’université de Lomé en 2007, diplôme de l’Institut du Fonds monétaire international (Fmi) cinq ans plus tard (Washington), elle finira avec un autre sésame en économie de l’emploi de l’académie du Bureau international du travail à Turin (Italie) comme définitivement rompue aux délicates missions d’état. Elle fera rapidement ses preuves par un assainissement du climat des affaires qui place le Togo en tête des classements du Doing business en Afrique et contribuera à la fulgurante progression du pays dans le processus d’éligibilité au Millenium Challenge Account. Son sang-froid permanent, son patriotisme bouillant, sa rigueur excessive et son obsession à faire de l’intérêt de son pays la priorité en font l’un des principaux collaborateurs du président togolais. Une posture qu’elle perçoit plus comme « un honneur » plus qu’un « spécial mérite« .
Un peu plus « faure »…
Washington, mi-décembre. Alors que le sommet américain des dirigeants africains bat son plein, Joe Biden annonce l’éligibilité du Togo au Millenium Challenge Account, programme américain destiné au développement de l’Afrique. Présent, Faure Gnassingbé qui a toujours su dissiper ses émotions ne peut qu’avoir une pensée speciale pour sa secrétaire générale. Minutieusement, étape par étape, usant de techniques acquises à l’Institut du Fonds monétaire international, elle a réussi, avec le coordinateur général de la cellule qui dépend directement du chef de l’état à remplir, domaine par domaine, les critères d’éligibilité. Quelques centaines de milliards CFA pour un pays dont le budget est un peu moins de 2000 milliards est un souffle important. D’autant que cette aide américaine vise les secteurs sociaux au moment où Faure Gnassingbé clame « son second mandat social » qui peine à tenir la promesse des fleures face à la pandémie de covid et à la crise économique mondiale en cours. Mais pour Sandra Johnson, c’est le cheval gagnant « pour un Togo émergeant » et c’est dans l’ombre de Faure Gnassingbé qu’elle accomplit ses pépites d’état. C’est d’ailleurs à lui que celle qui est plus « faure » que jamais dédie ses distinctions. Et contrairement aux habitudes sous les tropiques, elle ne se fourvoiera point dans la presse à clamer sa propre gloire, discrétion oblige.
Discrétion, marque de fabrique
Elle en a fait sa marque de fabrique depuis toujours. Elle a rejoint l’équipe de la présidence comme économiste sénior en 2012. En 2017, elle prend la tête du climat des affaires en qualité de secrétaire d’état puis de ministre déléguée. Entre temps, elle est coordinatrice adjointe de la cellule du Millenium Challenge Account avant de devenir, depuis 2020, secrétaire générale de la présidence. Ses nombreux postes et l’immensité de ses responsabilités ne lui ont jamais fait perdre la tête. La discrétion fait qu’à part quelques sorties médiaques que lui imposent inconditionnellement ses postes, on ne voit nulle part celle qui est aussi gouverneur du Togo auprès de la Banque mondiale. Trop de cordes à un seul arc peut-on penser, sauf qu’ici, les diverses expériences se complètent dans une harmonie évidente et surtout, elle a construit, dans un monde susceptible et auprès d’un chef d’état introverti un capital de confiance.
Ces deux prix rendent hommage aux compétences féminies africaines, mais aussi à toutes les femmes togolaises en mettant en exergue tout un pays. Et dans l’entourage de Sandra Johnson, on reste modéré, « ce n’est que le début » pense-t-on, avec modestie.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France