Tout le monde en Tunisie a sûrement fait le lien entre les assignations à résidence, les interdictions de voyage et la lutte contre la corruption. Le président Saïed ne veut pas permettre aux personnes impliquées de fuir. Mais, comme l’a assuré Me Chawki Tabib, ex-président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), assigné lui-même à résidence depuis le 20 août, «ce n’est pas normal que les agents appliquent des décisions verbales, ils ne disposent d’aucun papier».
Flou
La confusion règne chez les hommes d’affaires recourant à des voyages fréquents. «La décision de laisser passer A et interdire à B de partir ne répond pas à des critères fixés», souligne cet entrepreneur tunisien ayant des marchés en Afrique. Il passe d’habitude deux semaines en Tunisie et deux semaines sur chantier à l’étranger. «Je sens que les agents de sécurité sont dérangés et s’excusent gentiment en me priant de rentrer et de reporter mon voyage de quelques semaines», explique-t-il à El Watan, en trouvant «légitimes» les agissements du ministère de l’Intérieur. «La corruption a tout détruit et le pays a besoin de cran pour être redressé», ajoute-t-il, en précisant que «pour le moment, c’est du pêle-mêle. Mais, ça va se décanter».Cette attitude n’est pas partagée par tout le monde.
D’autres hommes d’affaires ont peur d’être accusés à tort. «Nos partenaires étrangers pourraient douter de notre intégrité», s’insurgent-ils. Ils demandent aux autorités d’accélérer les procédures de vérification afin de ne pas voir leurs affaires partir en fumée. Même colère chez le député France Sud du bloc démocratique, Anouar Ben Chahed, qui précise que «l’interdiction de voyager s’applique à tous les députés. Ceux qui ont pu quitter le pays avaient des passeports étrangers». La colère est à son comble chez Me Chawki Tabib, qui a précisé dans un post sur sa page Facebook «avoir déposé une demande pour la suspension de l’exécution de la décision d’assignation à résidence, prononcée contre lui».
Me Tabib a indiqué avoir déposé, mardi 24 août, deux plaintes auprès des organes onusiens chargés des droits de l’homme. La première devant le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, basée à Genève, et la seconde devant le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats auprès de la même instance, et ce, contre Ridha Gharsallaoui, chargé de la gestion du ministère de l’Intérieur.
Les derniers développements en Tunisie montrent que l’équipe du président Saïed est en train de peaufiner sa stratégie. «C’est clair que rien n’a été préparé avant le 25 juillet. Ce n’est donc pas facile de changer les structures de l’Etat en un laps de temps aussi court», explique le politologue Mohamed Bououd.
Il dit «comprendre les flottements actuels, tant l’Etat a été affaibli durant la dernière décennie». M. Bououd ne semble pas avoir peur pour la démocratie en Tunisie. «ça va aller ! Je croise les doigts pour que ce soit le véritable redressement de la Révolution de 2011», espère-t-il. Le politologue attire l’attention sur les bons résultats enregistrés durant le mois d’août dans la lutte contre la Covid-19, suite à l’appel d’aide lancé par le président Saïed à la communauté internationale.
Plus de deux millions de Tunisiens sont totalement vaccinés (22%), alors que le même nombre attend sa deuxième dose. «La moitié de la population devrait être vaccinée d’ici début octobre», selon le président de la Commission nationale de vaccination, le Dr Hechmi Louzir. Cela a été possible grâce aux sept millions de doses de divers vaccins, atterris en Tunisie, en plus des vaccins achetés directement par le pays. «C’est un bon indicateur, en attendant des résultats révélateurs dans la lutte contre la corruption», présume Mohamed Bououd.
Afrika Stratégies France avec El Watan