Protégée du cardinal Becciu, Cecilia Marogna dépensait des centaines de milliers d’euros destinés aux pauvres dans des boutiques de luxe. Cherchez la femme… même au Vatican. Avec l’irruption de Cecilia Marogna, le scandale financier qui a coûté sa dégradation au cardinal Becciu, numéro deux de la curie romaine jusqu’en 2018, se teinte de rose.
Brune piquante née en Sardaigne il y a trente-neuf ans, mère d’une petite fille «conçue hors du mariage malgré mes fortes valeurs catholiques», Cecilia Marogna a en effet reçu 500’000 euros en provenance des fonds de la Secrétairerie d’état à la disposition du cardinal Becciu pour les bonnes œuvres du Vatican. La moitié de cette somme a été dépensée dans les boutiques de luxe de la Ville éternelle: Prada, Chanel, Saint Laurent, Montcler, Mont Blanc. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Alors que, d’après le quotidien «La Vérité», le cardinal faisait passer Cecilia Marogna pour sa nièce, lien de parenté possible au regard de la différence d’âge, 33 ans, mais démenti par l’état civil, la presse transalpine s’interroge sur la nature des relations entre l’homme d’Église et sa protégée. Au point que l’intéressée elle-même a démenti au «Corriere della Sera» une love story avec le prélat: «Moi maîtresse du cardinal? C’est absurde! Je suis une analyste politique. Cette somme représente le paiement de mes prestations et les dépenses que j’ai faites pour créer une diplomatie secrète au service du Vatican. Peut-être que le sac Prada était destiné à la femme d’un ami nigérien en contact avec le président du Burkina Faso.» Peut-être… car la version de la Mata Hari sarde ne convainc pas les spécialistes des services secrets.
Un revenant à la recherche de vengeance
Une haute silhouette est revenue hanter les couloirs du Vatican. C’est celle du cardinal australien George Pell, de retour dans la Ville éternelle pour régler ses comptes. Archevêque de Sydney, George Pell fût nommé en 2014 par le pape François à la tête du Secrétariat pour l’économie. Doté des pleins pouvoirs, sa mission était de mettre de l’ordre dans les finances du Vatican et d’y combattre la corruption. Ses manières de rude rugbyman, son mépris affiché des prélats italiens et les intérêts économiques qu’il dérange l’opposent rapidement à la curie, dont Angelo Becciu est numéro deux. Jusqu’à ce qu’un scandale éclate en Australie. George Pell est d’abord accusé d’avoir ensablé des enquêtes sur des prêtres pédophiles, puis d’avoir lui-même commis des abus sexuels sur deux mineurs. En 2017, le cardinal est mis en congé par le pape François. Tous ses collaborateurs sont également démis. En Australie, George Pell se proclame innocent mais affronte son procès. Il est condamné à 6 ans de prison. Un procès qui se révèle une farce. En avril dernier, la Cour suprême l’acquitte à l’unanimité après un an d’incarcération.
Tragique erreur judiciaire ou machination? La magistrature vaticane a découvert d’étranges virements de 700’000 euros vers l’Australie. Pour les enquêteurs, l’argent provient de la Secrétairerie d’État et aurait servi à convaincre un jeune Australien de faire un faux témoignage accusant George Pell. Angelo Becciu est déjà un homme à terre. George Pell ne lui accordera pas l’honneur des armes et n’hésitera pas, s’il le peut, à l’achever.
Fausse nièce
Selon sa propre version, Cecilia Marogna entre en contact avec le cardinal Becciu en 2015 en lui envoyant un simple e-mail le questionnant sur la sécurité des nonciatures et des missions catholiques dans les pays à risque de terrorisme. Le cardinal la reçoit et commence alors une collaboration destinée à éviter les attentats contre les chrétiens dans le monde arabe. Un scénario qui laisse perplexe. Le Vatican a en effet depuis des siècles une diplomatie et des services secrets parmi les plus efficaces et discrets du monde. Or Cecilia Marogna n’a aucun diplôme ni expérience dans ce domaine et reconnaît candidement être une «autodidacte de la géopolitique». Cela n’empêche pas le cardinal de lui faire rapidement une chaleureuse lettre de recommandation que sa fausse nièce utilisera, encore selon «La Vérité», pour obtenir la location d’un appartement dont elle oubliera plus tard de payer le loyer.
Cecilia Marogna
Les premiers versements arrivent en 2018. Ils sont effectués par la Secrétairerie d’État sur les comptes de la Logsic, une société fondée par Cecilia Marogna à Ljubljana, en Slovénie, et destinée, selon ses statuts, à accomplir des missions humanitaires. Louable vocation. Mais une enquête télévisée révèle que la Logsic n’est qu’une boîte aux lettres dans un immeuble de bureaux de la capitale slovène et qu’aucun opérateur humanitaire ne s’y est jamais présenté. Dans les bilans de cette société fantôme, la destination finale des fonds n’apparaît pas à part les 200’000 euros dépensés dans des boutiques de luxe, de grands restaurants et en billets d’avion. Toutefois, la femme que la presse transalpine a surnommée la «Dame du cardinal» ne se démonte pas et répond à toutes les suspicions. «Je me suis installée en Slovénie parce que je pensais que les Balkans seraient la prochaine poudrière, mais les fonds étaient destinés à l’Afrique. Or on ne peut pas effectuer de virements officiels dans les pays qui figurent sur la black list, ni pour payer un informateur ou un contact. Il n’y a pas de traces comptables. Je revendique néanmoins d’avoir créé un réseau de relations en Afrique et au Moyen-Orient pour protéger les nonciatures des attentats.»
Luttes de pouvoir
Protectrice des chrétiens martyrisés ou affabulatrice? Chacun jugera. Mais Cecilia Marogna est dans le vrai lorsqu’elle dénonce «les différentes factions qui s’opposent au pape François et qui se sont servies de moi». Son dossier est arrivé dans les rédactions dans une enveloppe anonyme et les achats de sacs Prada sont des bricoles aux regards des centaines de millions escroqués au Vatican avec la complicité de hauts prélats dans des affaires immobilières. Les luttes de pouvoir entre le cardinal Becciu et le cardinal Pell (voir encadré) révèlent un Vatican où corruption, calomnies et chantage sur fond de pédophilie sont monnaie courante. De son côté, le cardinal Becciu s’est limité à affirmer publiquement: «Les contacts entre moi et Cecilia Marogna n’ont regardé que des questions institutionnelles.» Mais aux enquêteurs qui l’interrogeaient, il a tristement confié: «Elle m’a escroqué.» Les hommes abandonnés disent souvent ça.
Dominique Dunglas, tdg
*Le titre de l’article a été changé par la rédaction de Afrika Stratégies France