La tradition veut qu’à l’occasion de la fête nationale, le président béninois adresse la parole au peuple. Moment choisit par la pratique pour réduire des peines de prison et libérer certains détenus. Cette année, tous les regards sont tournés vers ceux politiques notamment Reckya Madougou et Joël Aïvo, en prison depuis un peu plus d’un an et faisant objet de moult négociations.
Dans la foulée de l’arrestation, une forte mobilisation de chef d’état n’a pas pu aboutir à la libération de Reckya Madougou, connu pour sa culture de réseaux d’influence. Idem pour Joël Aïvo. Patrice Talon a toujours avancé pour raison de ne pas vouloir se mêler des questions de justice. Jusqu’à ce qu’en claquant la porte de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), juridiction spéciale lancée par le chef de l’état béninois pour traquer ses opposants, un juge ne détaille les injonctions qu’ils reçoivent du Palais de la Marina. Essowè Batamoussi n’a pas pu supporter trop longtemps « les ordres qui venaient directement de la présidence de la République« . Depuis, il est en exil en France.
Un fort lobbying autour
Une forte mobilisation de dirigeants africains a été observée autour du cas Madougou. Au moment de se présenter contre Talon à la présidentielle de 2021, l’experte en finances était Conseillère spéciale et technique du président togolais. Plus tôt, elle avait porté deux grands projets financiers, notamment de finance inclusive et de finance agricole, le Mifa. Elle multipliait des consultations auprès de nombreux dirigeants de la sous-région, ce qui lui a permis de disposer d’un réseau « d’intercesseurs« qui n’ont pas pu malheureusement infléchir la détermination de Patrice Talon. C’est le cas de Macky Sall (Sénégal), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Nana Kuffo-Addo (Ghana), ou encore Ali Bongo (Gabon) et Denis Sassou N’guesso (Congo). Ils sont tous, à divers moments intervenus auprès de Patrice Talon pour obtenir sa libération, avant l’arrivée à Cotonou d’Emmanuel Macron qui est allé dans le même sens. Ayant des relations particulières avec cette conseillère spéciale, Faure Gnassingbé a voulu éviter des pressions directes sur son homologue béninois. Sauf qu’alors que tous s’attendaient à une libération en décembre dernier, ce ne fut pas le cas.
Une libération loupée
Patrice Talon avait donné sa parole à Denis Sassou N’guesso ainsi qu’à d’autres chefs d’état pour une libération en décembre, à l’occasion des fêtes de fin d’année. Elle n’a jamais eu lieu. Lors de sa rencontre avec Macron cette semaine à Cotonou, si l’autocrate béninois n’a pas reconnu l’existence de prisonniers politiques, il en a tout de même libéré une trentaine dans la foulée du passage du président français. Trente détenus qui ne doivent leur arrestation qu’à leurs opinions et leur engagement politique. Un acte qui sonne comme une contradiction alors que quelques heures plus tôt, le chef de l’état béninois niait l’existence de prisonniers politiques. Contrairement à l’ambassade de France à Cotonou qui a entretenu un flou hypocrite sur le sujet, celle des Etats-Unis n’a de cesse de réclamer leur libération et la décrispation de l’espace politique. Mais rien n’est gagné d’autant que les dernières discussions porteraient sur la nature de l’acte qui occasionnera la libération des derniers gros poissons des prisons de Talon. Grâce présidentielle ou amnistie ?
1er août prometteur ?
Difficile là encore de donner une réponse précise. Des promesses passées n’ayant pas été respectées. Mais un autre détail est lié à la nature de la disposition dont la libération desdétenus sera la cause. Patrice Talon préfère une grâce présidentielle, un geste qui, juridiquement, maintient les bénéficiaires dans une posture de condamnés et les priverait de certains droits notamment politiques. Reckya Madougou qui ne reconnait aucun des faits pour lesquels elle est accusé ainsi que Joël Aïvo préfèrent une amnistie sinon une libération pure et simple, la justice n’ayant, à aucun moment, pu prouver leur culpabilité. Ces deux leaders de l’opposition n’ont été jetés en prison que pour avoir osé se porter candidats pour la présidentielle. Les divers chefs d’accusation dont ils ont fait objet ne sont que d’habiles inventions de l’exécutif et de la justice aux ordres pour les écarter d’une élection pour laquelle ils troubleraient la réélection du candidat sortant. Aussi, une amnistie profiterait à d’autres béninois, qui, pour se soustraire à une justice devenue épicerie personne de Patrice Talon, ont pris la clé des champs et se sont retrouvés en exil. Ce qui serait d’autant plus logique que Komi Koutché et Léhady Soglo, deux leaders de premier plan sont actuellement aux Etats-Unis et en France pour avoir refusé de collaborer avec le tribun despote.
A quelques jours de la fête national, le 1er août, tous les regards sont tournés vers le fameux discours de la veille. Même si avec Patrie Talon, rien n’est gagné d’avance.
Elvio Eric Emile Zinzindohoué