BENIN : Talon, un système aux abois, un étau qui se resserre
Au pouvoir depuis un peu plus de deux ans et alors que le Programme d’action du gouvernement (Pag) peine à décoller, Patrice Talon a réussi à mobiliser tout le monde contre lui. Activistes, hommes politiques, diplomates, syndicalistes, le président béninois multiplie les couacs. Entre règlements de compte et violations des libertés fondamentales, il répond aux critiques par la répression alors que des législatives approchent à grands pas. Sauf que dans l’ombre d’une opposition évasive, se mijotent quelques surprises.
Le mois d’octobre aura été le plus actif pour l’autre versant de la rupture. Il commence avec l’emprisonnement de Sira Sabi Korogoné, à l’origine du mouvement « Nikki ». Une initiative de jeunes très acerbes vis-à-vis de la gestion de Talon et dont le responsable sera déposé à la prison civile dès le 1er octobre. Soixante douze heures plus tard, le Ajavongate refait surface. La nébuleuse affaire de 18 kg de cocaïne vaudra une convocation à Sébastien Ajavon, principal opposant au régime. Suivront les 9 et 10 octobre les procès de Hinnouho Atao, député jeté en prison alors qu’il bénéficie d’une immunité ainsi que celui de la Nouvelle Tribune, ultime journal critique qui aura payé net son audace. Il est suspendu sans autre forme de procès par la Haac, autorité de régulation des médias au Bénin. Et la liste des ripostes du système Talon est longue dans un pays où la démocratie a été acquise à rudes luttes. Les chancelleries occidentales s’en agacent, l’opinion nationale s’en offusque, Patrice Talon qui multiplie des malversations économiques et des conflits d’intérêts n’a qu’en faire. A quelques mois des législatives qu’il tient à gagner « par tous les moyens », l’ex sulfureux homme d’affaire ne lésine pas sur aucun moyen pour saboter littéralement, l’une des premières démocraties de l’Afrique occidentale.
Gouvernance au biceps
La stratégie est brutale et ça marche pour Talon. En tout cas pour l’instant. Ayant reçu à son domicile une convocation de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) alors qu’il se trouvait en France, Sébastien Ajavon, arrivé 3e lors de la dernière présidentielle aura échappé belle. Fermes consignes étaient données au procureur Togbonon Gilbert pour le mettre sous mandat de dépôt. Mais l’intéressé ne s’est pas présenté. Ses avocats, une dizaine en tout, n’ont pas pu faire valoir leur droit de se constituer et l’audience a été reportée au 18 octobre, avec injonction faite au président du patronat de se présenter en personne. Scandale ! S’emporte Me Marc Bensimon, avocat au barreau de Paris et constitué pour le compte de l’opposant. Quelques mois après l’élection de Talon, avec le soutien de Ajavon qui totalisait 22% de l’électorat et aura été dépassé par l’actuel président par à peine 1%, une affaire de cocaïne dont l’exécutif peine à en prouver l’évidence a déjà failli le conduire en prison. Il a su compter sur une mobilisation générale des populations ainsi qu’une certaine indépendance de la justice. Depuis, le bras de fer est lancé entre les deux hommes. Le lancement fin mars de l’Union sociale libérale (Usl) a ravivé les tensions. Redressements fiscaux et chasses à l’homme se succèdent. Au point où, dans une affaire où le non-lieu avait été prononcé par une juridiction nationale, le Criet reprend la main et convoque Sébastien Ajavon. « Ahurissant » s’esclaffent les avocats qui attendent impatiemment le 18 octobre. Entre temps, l’honorable Atao aura connu son sort et le jeune Korogoné continuera, pour avoir osé contester Talon et son pouvoir, de croupir dans sa cellule. La méthode est choisie, à chaque sortie audacieuse, une riposte disproportionnée. Objectif, dissuader définitivement les esprits contestataires et s’assurer, dans l’embrouillamini, une réélection au forceps en 2021, contre toute volonté populaire.
Un PAG qui s’enlise
Prévu pour cinq années, le Programme d’action du gouvernement peine à sortir la tête du fond. Cause ? Manque de financements. L’élection de Patrice Talon a refroidi les investisseurs pour plusieurs raisons dont le parcours de l’ex sulfureux homme d’affaire. Le couac entre la Banque islamique de développement (Bid) et l’Etat béninois survenu il y a quelques mois a fini de jeter du discrédit sur un gouvernement qui a multiplié des conflits d’intérêts et des soupçons de népotisme. La mobilisation de fonds est aussi rendue caduque d’abord par un conflit de compétence entre le ministre des finances, le jeune Wadagni, protégé du président et Abdoulaye Bio Tchané au ronflant portefeuille qui se réduit à des inauguration de nouvelles lignes de taxis urbains ou à occasions de représentations du président de la République. Ensuite, la multiplication de taxes sur les consommables tous azimuts et l’acharnement fiscal découragent les investisseurs et ralentissent la croissance dans un pays à l’économie hautement fiscale. Enfin, les diverses notations des institutions financières internationales mettent à mal l’image et la fiabilité de l’Etat béninois. Ce qui compromet drastiquement la mobilisation de fonds et réduit les chances de réussite des grands projets. La construction annoncée en pompe de l’aéroport de Glo Djigbé, à 30 km de Cotonou n’aura connu aucune lancée de pioches et le pont qui devrait rallier Calavi (banlieue cotonoise) à Porto-Novo (capitale économique) n’est pas prêt de démarrer. A cela s’ajoute l’irréalisme qui, selon l’opposition, a sans cesse caractérisé la vision globale de Patrice Talon.
Une opposition en débandade
Face à l’imprévisibilité du président et à son jusqu’auboutisme patent, l’opposition reste discrète. Menacé de perdre son statut d’ancien chef d’Etat, Yayi Boni fonce prudemment tout en restant déterminé. Il sait ce dont est capable son ancien allié. Le maire de Nikki l’aura appris à ses dépens. Le seul fait, pour sa commune de recevoir une manifestation anti-Talon a déclenché la colère des « dieux » au point où, deux semaines après, il est toujours dans les collimateurs de la justice. Yayi Boni quant à lui, reçoit aussi, de temps en temps, des pressions extérieures notamment du président de la Guinée équatoriale, Théodoro N’guéma ou de Alassane Ouattara dont il partage l’amitié avec son successeur. Hors du pays depuis plusieurs jours, Sébastien Ajavon ne pourra pas y retourner sans craindre une arrestation, le Criet étant à sa recherche. Valentin Djenontin et Idrissou Bako, membres du Fcbe, Force cauris pour un Bénin émergeant (principale opposition) subissent la levée en cours de leur immunité et Komi Koutché devrait continuer son fastidieux exil au pays de l’oncle Sam. A l’heure actuelle, alors que se met en place le Parti républicain censé garantir à la majorité une victoire aux législatives de mars 2019, l’opposition cherche encore ses marques et devrait compter avec l’assèchement de ses ressources financières malicieusement orchestré par Talon. La menace de la prison plane aussi sur les principaux opposants du fait de leurs implications par le passé dans de multiples scandales économiques. L’augmentation excessive des cautions financières inhérentes à l’approbation de listes aux diverses élections aura achevé d’étrangler une opposition qui peine à s’organiser. Mais des surprises dont certaines pourraient venir de là où on s’y attend le moins ne sont pas à écarter. Un regroupement élargi de l’opposition est à l’étude et l’ancien ministre démissionnaire de la défense de Patrice Talon, le tonitruant Candide Azannaï, annonce « un plan inattendu ».
Reckya Madougou, la troisième « larronne » ?
Après plusieurs années de silence sur les questions politiques depuis sa sortie du gouvernement en 2013, Reckya Madougou fait des incursions sur divers sujets. Aussi bien sur la gestion de Talon que sur les arrestations arbitraires dont celle du jeune Korogoné. Dans un espace politique en pleine recomposition, elle peut, par plusieurs concours de circonstances, se tailler la part de lion, encore faudrait-il que celle qui est devenue depuis quelques années conseillère spéciale de Faure Gnassingbé le veuille et se lance dans la course. Originaire du nord du Bénin dont l’importance électoraliste n’est plus à démontrer, elle comptera sur plusieurs conjonctures sporadiques. L’ancien ministre des finances qui n’est rien d’autre que son poulain, Komi Koutché ne pourra pas être candidat face à la rage que nourrit contre lui, Patrice Talon. Yayi Boni frappé par la limitation des mandats ne manquera pas à l’occasion de soutenir celle qui est à la fois sa filleule et l’une des meilleures ministres qu’il estime avoir connues. A tout cela, s’ajoute un facteur géographique qui peut facilement échapper aux observateurs, c’est le contrôle aisé qu’elle peut prendre du nord du pays subdivisé en quatre zones. La zone Tchaourou-Bémérèké-Sinendé-Nikki (où sa collectivité est légendaire et où Yayi Boni tient encore quelques ficelles). La zone Dassa-ouèssè-Bantè-Savè où la popularité de Koutché n’a jamais été contestée. La zone Gogounou-Karimama-Banikouara-Ségbana où Idrissou Bako, virulent opposant peut lui garantir une importante cagnotte électorale. Et Enfin, Kouandé-Tanguiéta-Kérou-Kobly où la députée Ouassangari Abibath lui servira de relai. La candidature de Reckya Madougou devient donc de plus en plus plausible d’autant que des pressions montent de proches de Talon pour calmer ses ardeurs. L’ancienne garde des sceaux pourra aussi compter sur un réseau de chefs d’Etat et de gouvernement et surtout la sympathie qu’elle suscite dans les milieux politiques parisiens et américains où elle dispose de bons contacts. Une facilité de mobilisation de ressources pour l’ex ministre des micro-finances, elle-même « financier » peut être un atout. Mieux, son background solide qu’elle ne cesse de renforcer à l’occasion comme lors d’une formation récemment suivie à Havard sur la conduite de la performance gouvernementale renforce sa stature de femme d’Etat. Mais tout cela ne suffira pas. Elle devrait se démarquer de l’image de soutien à un pouvoir contesté qu’elle abhorre au Togo voisin et affronter l’ambiant machisme qui résiste dans les mœurs dans son pays.
Malgré les raisons de s’inquiéter, l’opinion béninoise naturellement optimiste croit aux imprévus. Dans l’opinion nationale, aucun président n’aura été aussi impopulaire. Un sondage, le seul commandité par la présidence depuis l’avènement la prise de pouvoir ne garantit à Talon que 19% d’opinion favorable. Ce qui n’a pas eu pour effet de troubler l’homme qui se définit comme « compétiteur né » et qui se la joue déloyalement en confisquant au profit de ses principaux lieutenants les structures impliquées dans l’organisation d’élections. Il pourra, s’il écarte l’actuel président de la Commission électorale nationale autonome (Cena) dont il ne supporte plus l’indépendance, baliser le chemin d’une écrasante victoire aux législatives. Une obsession pour son ancien avocat, Joseph Djogbenou, qui préside la cour constitutionnelle.
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