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COTE D’IVOIRE : L’impromptue irruption de la cour africaine dans la justice dérange  

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La Côte d’Ivoire a annoncé le 29 avril son retrait de sa déclaration de reconnaissance de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp) dont les compétences empiètent de plus en plus sur la souveraineté de la justice. Si cette décision fait suite à une affaire malencontreusement tranchée en faveur de Guillaume Soro accusé de déstabilisation de son pays, le Rwanda, la Tanzanie et plus récemment le Bénin avait déjà pris leur distance vis à d’une cour de plus en plus contestée. Kigali reproche à raison à la Cadhp de dérouler le « tapis rouge aux génocidaires ». Décryptage et explications.

Un communiqué explicatif et sans équivoque, publié en milieu de journée le 29 avril à Abidjan, la Côte d’Ivoire décide de « retirer la déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples » qu’elle a émise le 19 juin 2013. Le ministre de la communication et des médias évoque une « application 34 aliéna 6 dudit protocole« . Dans la déclaration envoyée à notre rédaction, Sidi Tiémoko Touré insiste que cette décision reste « sans préjudice de l’engagement du gouvernement à demeurer partie à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples« , en clair le pays ne quitte pas la cour. Une décision que saluent beaucoup d’Ivoiriens dans les rues d’Abidjan. « La cour ne peut pas remplacer notre justice nationale » s’agace Gaoussou, étudiant en sociologie pour qui, « si Soro avait pu mener à bout son projet de déstabilisation« , la cour n’aurait « rien fait pour nous aider« . La société civile ivoirienne est quant à elle prudente mais constate, avec consolation, que l’Etat n’a pas quitté la Cadhp. Une chose est certaine, après de nombreuses décisions qui ont contrarié les juridictions nationales dans plusieurs pays, beaucoup d’observateurs relancent le débat sur les réformes de la cour « afin d’en encadrer les compétences« . Le très respecté professeur béninois de droit, Victor Topanou a critiqué à demi teinte cette cour, annonçant que le gouvernement béninois a saisi précédemment le président de la Commission de l’Union africaine pour statuer prochainement sur les compétences dévolues à la Cadhp. Patrice Talon est allé plus loin, exprimant son désir de « voir cette cour remplacée par une nouvelle« . En attendant, la Côte d‘Ivoire a juste pris ses distances avec une institution qui sème le flou sur ses propres compétences, faisant concurrences aux juridictions nationales.

Une cour qui agace de plus en plus

La Côte d‘Ivoire et le Bénin sont deux pays qui, en avril, ont annoncé leur rupture avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples mais ils ne sont pas les premiers. Avant eux, en mars 2016 et en décembre 2019, le Rwanda et la Tanzanie avaient fait de même. Il faut dire que dans ses décisions, cette cour opérationnelle seulement depuis 2010 empiète régulièrement sur les compétences nationales. La question de la justice, son indépendance et sa nature régalienne sont liées à la souveraineté de chaque Etat. Alors comment comprendre que depuis Arusha où elle siège, cette cour jette sans cesse des pavés dans la marre judiciaire des pays membres en désavouant les tribunaux locaux qui maîtrisent mieux qu’elle, les subtilités locales et les faits historiques qui construisent l’ossature d’une justice fiable ? Dans le cas du Bénin, la Cadhp s’est permis de suspendre des élections municipales prévues pour mai, au motif d’une saisine de Sébastien Ajavon en exil en France qui en fustige la « non-exclusivité« . L’opposant évoque selon sa saisine dont nous avons copie « un préjudice irréparable » si les municipales ont lieu comme prévu le 17 mai.  La Cadhp lui a donné raison contre l’état, imposant au Bénin un report de force d’un scrutin national. La cour ne tient pas compte de l’impasse constitutionnelle que crée la non-tenue d’un scrutin. En Côte d’Ivoire, elle demande la suspension d’un mandat d’arrêt émis par l’Etat contre Guillaume Soro. Dans un argumentaire de 11 pages dont Afrika Stratégies France a copie, la cour ordonne la libération de 19 proches de l’ancien chef rebelle dont des députés en prison à Abidjan. La cour ignore délibérément toute l’instruction de la justice nationale et surtout, la menace avérée que constitue Soro pour la Côte d‘Ivoire d’autant que des preuves irréfutables d’atteinte à la sureté de l’Etat ont été apportées. Concrètement, la cour est en déphasage avec la réalité et multiplie, pour sa visibilité communicationnelle, des coups de tonnerre « inadmissibles » selon le gouvernement rwandais, contre les Etats.

Un record de coups de tonnerre et d’ingérences

Plusieurs pays reprochent à la Cour un excès de zèle qui la pousse à presqu’opposer les Etats et prendre position souvent pour les opposants. Aussi, un souffre de corruption plane sur ses juges dont certains entretiennent avec des personnes qui la saisissent des promiscuités suspectes. C’est le cas du milliardaire béninois, Ajavon Sébastien qui aurait mis des pressions financière sur les juges à travers ses avocats. Quand on connaît le recours régulier à l’argent devenu l’arme de guerre de l’opposant ivoirien et ancien président de l’assemblée nationale, les suspicions sur la cour ont de quoi faire effets. La Tanzanie qui en héberge le siège n’en est plus membre depuis 2019. Dès le 14 juin, la première décision de ladite cour visait une affaire qui opposait le sulfureux révérend Mtikila à l’Etat tanzanien. La Cadhp s’acharnait contre l’Etat qui lui a offert hospitalité car sur 70 décisions rendues à la date du retrait de la Tanzanie, 28, soit 40% concernait ce pays. Le fait que le siège soit en Tanzanie donnait lieu à de nombreuses saisines dans lesquelles la cour s’invitait permanemment dans les affaires internes du pays. Elle est allée jusqu’à demander la modification d’une grande partie du Code pénal tanzanien, « une fixation incongrue et insupportable » selon Palamagamba Kabudi. Le ministre tanzanien des Affaires étrangères et de la Coopération en Afrique de l’Est se réjouit de ce que son pays s’évite « des injonctions maladroite d’une Cour qui veut exclusivement faire du buzz ». En ce qui concerne le Rwanda, la Cour s’est non seulement opposée, ce qui n’est pas de sa compétence, à une révision de la constitution, mais demande des suspensions concernant des mandats d’arrêts internationaux émis par l’Etat rwandais. Faustin Kayumba Nyamwasa, un ancien chef d’état-major de l’armée qui a été condamné en 2011, notamment pour « atteinte à la sécurité de l’État » a saisi la cour qui n’a pas daigné prendre en compte la demande de l’Etat d’écarter « l’intérêt à agir » pourtant prévu dans le protocole instituant cette cour. L’autre affaire, celle de Stanley Safari, condamné en 2009 par un tribunal populaire Gacaca. L’ancien sénateur avait été reconnu coupable en tant qu’organisateur du génocide dans la préfecture de Butare. Finalement, face à l’obstination de la Cadhp à ouvrir le procès, Kigali s’est retiré avec « effet immédiat ».

Réformer ou relancer une autre cour ?

Elle n’est effective que depuis 2010 même si la procédure de sa création a débuté depuis 1995. Le Bénin veut qu’elle soit supprimée et remplacée par une autre cour, « plus équitable » et sérieuse. Patrice Talon y tient dur comme fer. D’autant que l’actuelle cour peine à susciter de l’enthousiasme. Jusqu’à ce jour, seuls 30 Etats en ont ratifié le protocole. Mais seuls 9 pays ont soumis la déclaration de reconnaissance qui permet aux citoyens de saisir la Cadhp. Il s’agit du Benin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, le Malawi, le Mali,  la Tanzanie et la Tunisie. La Cadhp vient de perdre le Bénin, et la Côte d’Ivoire alors que la Tanzanie avait déjà pris ses distances. Il ne reste plus que 6 Etats, ce qui fragilise sérieusement cette cour qui a besoin, au minimum de réformes profondes. Abidjan n’a pas exprimé un désir de suspension de la cour mais Alassane Ouattara ne l’écarte pas.

En attendant, pour rester crédible la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples doit éviter de narguer les Etats et de vouloir remplacer les juridictions nationales. Au risque de disparaître d’autant qu’elle dépend financièrement de la cotisation des pays membres.

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