De plus en plus de Français demandent à être débaptisés en raison des scandales entourant l’Église. Ils témoignent.
« Ne reconnaît pas la valeur de son baptême » ou « demande à être radié des registres du baptême » ? Entre les deux formulations, Juan hésite. Assis à la terrasse d’un bistrot du 20e arrondissement de Paris, il lit avec attention la réponse de l’évêché d’Arras. « Nous avons pris connaissance de votre choix et entendons le respecter », indique « Madame le chancelier ». Une semaine plus tôt, le presque-trentenaire appelait sa mère pour connaître la date et le lieu de son baptême, sans préciser son intention : demander l’apostasie.
Si ses raisons sont nombreuses et motivées, c’est bien le mouvement venu d’Argentine, où plus de 4000 personnes ont franchi le cap après le rejet de la loi sur l’avortement, qui l’a décidé. Son cas est loin d’être isolé. A l’heure où l’Eglise gère les polémiques autour des propos du pape sur l’homosexualité et que le cardinal Barbarin s’apprête à être jugé (le 7 janvier prochain) pour non-dénonciation d’actes pédophiles, de plus en plus de personnes préparent leur lettre pour être débaptisées.
Un intérêt croissant
« Rien que dans mon entourage, nous sommes trois à avoir pris cette décision la semaine dernière », confie Camilla, 44 ans, dont la demande s’apprête à partir. Contactée par L’Express, l’Eglise catholique de France dispose de statistiques complètes concernant le nombre de baptêmes – en forte baisse – célébrés. Mais assure ne pas avoir de données chiffrées sur ces départs volontaires. Un « épiphénomène », selon l’institution.
« Nous ne collectons pas cette information et celle-ci ne figure pas non plus dans le questionnaire statistique du Vatican envoyé tous les ans aux diocèses. » Dans une infographie non datée qu’elle publie sur son site, elle évoque cependant 1000 demandes de débaptisation chaque année. Un chiffre corroboré par une étude publiée en 2008 dans La Croix. Peut-on, dans ce contexte, parler d’un phénomène de société ?
Dans un reportage diffusé par France Bleu le 28 août, le diocèse de Strasbourg affirmait avoir reçu un nombre de demandes d’apostasie plus élevé que d’ordinaire. « Les statistiques de notre site montrent également une forte progression des visites en août 2018. Nous en avons eu presque autant qu’en avril 2013, en plein débat sur le mariage pour tous », confirment les créateurs d’Apostasie pour tous, un générateur de lettres de demande de reniement. Après les propos du pape sur le recours à la psychiatrie chez les enfants aux « penchants homosexuels », le 27 août, Benjamin et Rémi ont observé une hausse de 3000 visites sur leur site. Une semaine plus tôt, 1300 internautes se ruaient sur le générateur.
La religion comme état de fait et non de foi
Juan a suivi le mouvement. Baptisé avant son premier anniversaire, à l’instar de ses frères et soeurs, l’homme d’origine espagnole voit dans ce geste une « perpétuation des traditions ». Élevé dans le nord de la France et scolarisé dans une école privée catholique, il a enchaîné ses deux communions sans poser de questions. « Dans mon collège, où les cours de catéchisme étaient obligatoires jusqu’en 4e, la quasi-totalité des élèves étaient communiés. C’était normal. »
Athée, il regrette aujourd’hui d’avoir été baptisé sans son consentement. « 70% des Français sont baptisés – la plupart le sont dans les mois qui suivent leur naissance – et donc comptabilisés comme chrétiens. Mais lorsqu’on les interroge, ils sont autant à ne se réclamer d’aucune religion. En pratique, seuls 4,5% des Français (source IFOP) vont régulièrement à la messe« , argumente Apostasie pour tous. « La majorité de ceux qui passent à l’acte ne se considèrent pas comme catholiques. Il s’agit surtout de personnes qui veulent montrer leur réprobation vis-à-vis de l’institution, à cause de ce qu’ils apprennent dans la presse », confirme Sophie Gherardi, fondatrice du Centre d’étude du fait religieux contemporain (Cefrelco).
Nathalie, elle, a renié son baptême, malgré sa foi, il y a cinq ans. Egalement élevée dans une famille aux origines latines, cette blogueuse connue sous le nom de Catnatt a grandi dans le catholicisme et entretient un rapport fort avec la religion. Parce qu’elle ne veut pas « imposer un rite spirituel à quelqu’un qui n’est pas en âge d’avoir un avis sur la question », elle n’a pas souhaité baptiser ses propres enfants. En revanche, elle se reconnaît dans les 10 commandements, « surtout le fameux: « aimez-vous les uns les autres » ».
Premiers doutes avec la Manif pour tous
Quand elle parle de Dieu et des valeurs véhiculées par la Bible, Nathalie sourit. Mais la colère la rattrape lorsqu’elle évoque les raisons de sa « débaptisation ». « Les premiers doutes sont arrivés avec l’histoire de la « petite Brésilienne » en 2009′. Une fillette de 9 ans, violée par son beau-père, avait été excommuniée avec sa mère pour avoir avorté [au Brésil, la loi n’autorise l’avortement que si la grossesse est provoquée par un viol, ou en cas de danger pour la santé de la mère. Deux arguments valables dans cette situation]. Mais pas le violeur. C’était d’une violence absolue. » Choquée par cette décision, Nathalie demande des explications au prêtre de l’église Saint-Jean-Baptiste, à Paris, lui précisant avoir elle-même avorté par le passé : « Il m’a dit qu’il y avait un fossé de plus en plus grand entre la hiérarchie et l’église au quotidien. Les décideurs sont totalement déconnectés de la vie des croyants ».
Quatre ans plus tard, l’Église s’invite lors du débat sur le mariage entre personnes de même sexe. Pour elle, c’en est trop. Elle demande l’apostasie pour protester contre l’intrusion du religieux dans le débat public. Mais surtout contre les propos tenus par les opposants catholiques à la loi, à l’opposé de son éducation religieuse. En tant qu’homosexuel, Juan a aussi été particulièrement blessé par ce discours: « Le catéchisme que l’on m’a inculqué tournait autour de l’amour, du partage. Mais ce débat m’a fait réaliser l’homophobie prépondérante chez une partie des cathos. Ils n’avaient pas à avoir un rôle politique. Un argument de foi ne peut pas être érigé face à un argument de droit. »
C’est également à cette époque que Benjamin et Rémi ont tenté de rompre avec l’Église. « Mais il était compliqué de trouver toutes les informations nécessaires pour être débaptisés. » Ils décident donc de se mettre à leurs claviers afin de simplifier au maximum la démarche pour les autres. Quelques jours plus tard, Apostasie pour tous arrive sur la toile.
« Si on ne sévit pas, on cautionne »
Égalité femmes-hommes, avortement, discrimination des personnes LGBT+, port du préservatif… Sur le générateur de lettres, Juan a coché de nombreux motifs dans la liste que propose le site. Et pour cause. Il considère la majorité de ses opinions contraires à celles de l’Église qui, selon lui, « se base sur des fondements misogynes, depuis Eve, la pécheresse, à l’origine de tous les maux sur Terre ». « Quand j’entends le pape préconiser la psychiatrie pour les enfants et adolescents homosexuels, je ne regrette vraiment pas mon choix », assure-t-il entre deux gorgées de bière.
Les nombreux scandales pédophiles, dont certains ont été couverts par de hauts responsables catholiques, n’ont rien arrangé. « Malgré toutes les affaires, personne ne s’interroge sur l’interdiction du clergé de se marier ou d’avoir des relations », enchaîne le jeune homme.
De son côté, le père Pierre Vignon, prêtre du diocèse de Valence et juge canonique à l’origine d’une pétition exigeant la démission du cardinal Barbarin, reconnaît le droit aux « personnes excédées par l’attitude d’évêques ou de cardinaux qui ont couvert des prêtres ayant commis des actes pédophiles » d’avoir « une réaction d’ordre passionnel ». Mais il invite les croyants à ne pas confondre « la foi de leur baptême qui conduit au salut » et « l’attitude choquante de certains responsables d’Eglise ». Pour lui, cette distinction a une grande importance: « Comme ma religion est fondée sur le Christ Jésus et non sur le maintien à son poste de Philippe Barbarin, pour ma part, je continue d’être heureux à être prêtre et à parler ouvertement. »
L’incompréhension
Mais pour cela, encore faut-il être croyant. Pour Camilla, qui se considère athée, la limite a été franchie. « C’est une façon de protester. Je ne veux pas cautionner toutes ces choses. » Décidée, cette mère de famille s’est promis d’envoyer sa lettre cette semaine. Elle ne s’est cependant pas penchée sur les conséquences d’un tel acte, contrairement à Juan, dont la décision affectera sa famille. Il le sait : son apostasie l’interdit d’obsèques religieuses, mais aussi de parrainage. « Or, je suis déjà le parrain de l’un de mes neveux. » Pour y remédier, il a décidé de mettre en place un parrainage civil. Mais a été forcé, de fait, de confier son secret à sa soeur.
Malgré ses vingt années de plus, Nathalie n’a, elle, pas osé en parler à son père. « C’est en dehors de sa sphère, il pourrait considérer ça comme de la trahison. » Même hors de sa famille, son geste suscite de nombreuses réactions négatives. Et souvent la même question : « Pourquoi ne pas juste ignorer ce baptême ? »
Dans les registres pour l’éternité
C’est précisément parce qu’elle est croyante que Nathalie refuse d’ignorer son lien avec l’institution religieuse. « Si j’étais athée, je pourrais m’en foutre. Mais là, je renonce à quelque chose qui, pour moi, a de l’importance. Je ne serai jamais heureuse de l’avoir fait. Mais pour moi, c’est un acte politique. » Et cette opposition, elle tient à la signaler en maintenant son nom sur les registres. « Je veux que dans deux siècles, on puisse précisément voir que j’ai manifesté mon désaccord », insiste-t-elle. Pourrait-il en être autrement ? Dans sa réponse envoyée à Juan, l’évêché d’Arras précise que, puisque « le geste qui a été posé sur [lui] à l’occasion du baptême a bien eu lieu, personne ne peut faire en sorte que cet événement soit considéré comme n’ayant jamais existé ».
« Pour l’Église, le baptême est un sacrement, un pacte entre le ciel et la Terre, qui ne se défait pas, au même titre que le mariage », confirme la directrice du Cefrelco, Sophie Gherardi. Et le droit lui donne raison. « Selon la dernière décision rendue par la cour de Cassation en 2014, elle n’est pas tenue de rendre illisible l’acte de baptême, mais doit ajouter la mention « a renié son baptême » en marge des registres », souligne Apostasie pour tous.
Les créateurs du site se souviennent cependant qu’en 2013, il arrivait que l’Église refuse de laisser partir ses fidèles. « Les raisons étaient diverses : « Je vous laisse quelques semaines pour y réfléchir », « venez m’en parler de vive voix » ou encore « nous ne payons pas l’envoi de l’attestation de radiation ». Ce qui est contraire à la loi. » Pour éviter ce genre de réponses, Apostasie pour tous a donc opéré des ajustements dans le texte du générateur de lettre. « Maintenant, ça fonctionne presque toujours au premier envoi. L’Eglise est tenue de fournir à ses frais, par courrier, une attestation pour confirmer la ‘débaptisation' », ajoutent fièrement les deux apostats.
Cela signifie-t-il que l’Église a baissé les bras ? « Éviter de perdre des fidèles, en termes de statistiques, n’est pas la priorité de l’Église. La gestion des scandales autour des prêtres pédophiles est bien plus problématique », affirme Sophie Gherardi, pour qui la crise que traverse le Vatican est bien plus profonde. « Les gens n’ont plus besoin d’elle. Le lien entre la vie sociale, la vie morale et la croyance religieuse, qui était central auparavant, est aujourd’hui une option. En termes d’influence, l’Église perd du monde chaque jour, depuis bien longtemps. »
Emilie Tôn, L’Express