La question d’Israël inscrite à l’ordre du jour d’un sommet de l’Union africaine qui s’annonce houleux
Le sommet de l’Union africaine (UA) qui se tient ce week-end à Addis-Abeba devrait donner lieu à de vifs débats au sujet des relations avec Israël, un différend rare au sein de cette organisation qui valorise le consensus.
La polémique a éclaté en juillet, lorsque le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a accepté l’accréditation d’Israël, avec le statut d’observateur, auprès de l’organisation aux 55 Etats membres, offrant à l’Etat hébreu une victoire espérée depuis près de deux décennies. De puissants membres, l’Afrique du Sud en tête, ont rapidement protesté, affirmant avoir été mis devant le fait accompli et que cette décision allait à l’encontre de nombreuses déclarations de l’organisation panafricaine – y compris de Moussa Faki Mahamat – soutenant les Territoires palestiniens.
Les ministres des affaires étrangères n’ont pas réussi à s’entendre sur cette question lors d’une réunion en octobre, et l’Afrique du Sud et l’Algérie l’ont inscrite à l’ordre du jour du sommet des chefs d’Etat de l’organisation qui débute samedi 5 février, selon des documents de l’UA consultés par l’AFP. Malgré une longue liste de problèmes à aborder, comme la pandémie de Covid-19 et les récents coups d’Etat sur le continent, les analystes s’attendent à ce que la question d’Israël soit longuement débattue durant ce sommet qui marque le 20e anniversaire de la fondation de l’UA. Le sujet, hautement sensible, pourrait donner lieu à un vote.
« L’UA sera divisée comme jamais »
« Vingt ans après la formation de l’Union africaine survient le premier problème qui va sérieusement diviser » l’organisation, souligne Na’eem Jeenah, directeur exécutif de l’Afro-Middle East Center de Johannesburg. « Quelle que soit la décision prise lors du sommet, l’UA sera divisée comme elle ne l’a jamais été », estime-t-il.
Soixante-douze pays, organisations régionales et organismes sont accrédités auprès de l’UA, dont la Corée du Nord, l’Union européenne ou l’Onusida, selon le site de l’UA. Israël était accrédité auprès de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), puis a perdu ce statut lorsque cette dernière, créée en 1963, a été dissoute et remplacée par l’UA en 2002. Le gouvernement israélien accusait le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, qui a exercé une influence majeure au sein de l’UA jusqu’à sa mort en 2011, d’être derrière ce changement.
En juillet, le ministère israélien des affaires étrangères décrivait cette exclusion comme une « anomalie », soulignant qu’Israël entretenait des relations avec 46 pays africains. Selon le ministère, une accréditation permettrait à l’Etat hébreu d’aider l’UA notamment dans la lutte contre la pandémie et contre le terrorisme. « Travailler au niveau bilatéral avec de nombreux pays africains est formidable et c’est le fondement de la relation avec l’Afrique. Mais il est également important pour Israël d’établir des relations formelles avec l’Afrique en tant que continent », déclarait la semaine dernière à l’AFP le directeur adjoint des affaires africaines au ministère israélien, Iddo Moed.
Mais le contexte qui a vu naître l’UA en 2002 n’est pas le même que celui de la fondation de l’OUA, quarante ans plus tôt, ce qui en fait une organisation différente, souligne Na’eem Jeenah.
Soutien du Rwanda et du Maroc
Depuis juillet, l’Afrique du Sud ne cesse de dénoncer la nouvelle accréditation d’Israël. En décembre, la ministre sud-africaine des affaires étrangères, Naledi Pandor, qualifiait cette décision d’« inexplicable ». « Ça a été un choc, étant donné que cette décision a été prise à un moment où le peuple opprimé de Palestine était harcelé, avec des bombardements destructeurs et la poursuite d’implantations illégales sur ses terres », a-t-elle déclaré. Deux mois avant d’accepter l’accréditation d’Israël, Moussa Faki Mahamat lui-même avait condamné les « bombardements » israéliens sur la bande de Gaza, ainsi que les « violentes attaques » des forces de sécurité israéliennes dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem, affirmant que l’armée israélienne agissait « en violation flagrante du droit international ».
Pour les analystes et les diplomates, l’issue d’un vote sur le statut d’Israël est incertaine. Les principaux soutiens d’Israël sont le Rwanda et le Maroc, mais de nombreux pays n’ont pas exprimé leur position et toute décision sur ce sujet nécessitera un soutien des deux tiers des Etats membres. Certains observateurs déplorent les tensions attisées par cette question. « Tout aurait dû être fait pour éviter que ce problème ne devienne une source de polarisation. C’est vraiment une mauvaise distraction à un moment où l’on n’en a pas besoin », estime Solomon Dersso, fondateur du centre de réflexion Amani Africa, spécialisé sur l’UA. « Ça va faire une grande partie des gros titres à la place de problèmes qui ont un impact majeur sur la vie des habitants du continent. »
Afrika Stratégies France avec Le Monde Afrique