Leslie Varenne : « Face au Covid-19, la catastrophe n’aura pas lieu en Afrique dans les dimensions prédites »
Spécialiste de l’Afrique et deux décennies durant journaliste d’investigation, Leslie Varenne est directrice de l’Institut de veille et d’études des relations internationales et stratégiques (Iveris). Elle a une dense connaissance du continent africain qu’elle a raconté à travers reportages, articles spécialisés et rapports. Depuis l’avènement du Covid-19, elle a une lecture décalée par rapport au pessimisme envahissant quant à l’Afrique, relativisant l’alarmisme occidental et les apocalyptiques prévisions de l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Si Varenne fait un diagnostic pertinent de la réalité technique des systèmes de santé africains, elle pense que la jeunesse de l’Afrique dont l’âge médian est « de 20 ans contre 42 ans en Europe » joue en faveur de la résistance dont fait montre le continent face à la pandémie. Elle aborde ici les perspectives tout en restant prudente, évitant trop de comparaisons avec les pays développés. Avec une certitude tout de même, « le danger s’éloigne » pour l’Afrique et Leslie Varenne espère qu’en cas de forte propagation, le continent pourrait profiter des expériences des pays déjà très frappés par le Covid-19. Un entretien bref, précis et surtout rassurant même si l’auteure de « Abobo la guerre« , un ouvrage consacré à la guerre de en Côte d’Ivoire s’attend à ce que la situation ne soit pas identique dans chacun des 55 Etats du continent.
Est-ce que depuis l’avènement de cette pandémie, le système sanitaire en Afrique subsaharienne a évolué, poussée par l’urgence ?
Je pense qu’ici ou là, des fournitures, masques, gels, respirateurs ont été achetés, cependant la déficience des plateaux techniques n’a pas changée. Dans les pays d’Afrique francophone, il y a de très bons médecins, le grand problème c’est tout le matériel, du petit au plus sophistiqué. Cela ne peut changer en quelques semaines.
Quoiqu’on dise, la situation en Afrique est moins apocalyptique que tout ce qui se disait avant. Comment expliquez-vous cela ?
Pour l’instant seules des hypothèses sont avancées mais beaucoup ne se vérifient pas. L’âge médian, de 20 ans en Afrique contre 42 ans en Europe est, sans aucun doute un facteur, il n’est cependant pas suffisant à lui seul pour expliquer les raisons pour lesquelles l’Afrique semble être protégée. Une autre piste sérieuse est à suivre, celle de l’ensoleillement. Ces deux causes conjuguées pourraient être une explication. Néanmoins, il faudra attendre les travaux des chercheurs pour comprendre plus finement ce phénomène.
Comment expliquez-vous la différence de situation entre les pays ? Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sont très éprouvés alors que le Togo, le Gabon ou encore les deux Congo(s) tiennent le coup…
Il est très difficile de répondre à cette question, cela peut dépendre de nombreux paramètres comme celui du nombre de tests. Mais dire que la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sont très éprouvés est très exagéré. Dans les deux pays nous sommes à l’heure actuelle à quelques 600 cas, ce qui est très peu. Dans ces pays-là aussi l’évolution est très lente, plusieurs centaines de cas en un mois, c’est peu si l’on compare à la manière dont la pandémie s’est enflammée en trois semaines aux Etats-Unis, par exemple.
Est-ce que l’Afrique doit-elle, dans les semaines à venir, craindre un chaos, éventuellement ?
Tout était en place pour que la pandémie s’installe comme un feu de brousse, pauvreté des structures sanitaires, promiscuité, malades à risques, VIH, diabète, hypertension, obésité dans certaines catégories de la population, or cela n’a pas eu lieu. Plus le temps passe et plus le danger s’éloigne, car en plus si le virus commençait à se propager beaucoup plus rapidement l’Afrique bénéficierait des retours d’expériences des autres continents. Les médecins généralistes africains ne commettront pas les mêmes erreurs que leurs collègues occidentaux. De nombreux généralistes français traitent maintenant leurs patients avec des antibiotiques, comme l’azytromicine, et certifient avoir des résultats. Ces traitements sont accessibles facilement accessibles et peu chers, donc ils pourront être utilisés en Afrique. Personnellement, je ne pense pas que la catastrophe, annoncée par de nombreux experts de
manière terriblement anxiogène et triviale, aura lieu dans les proportions prédites. Pour l’instant seules des hypothèses sont avancées mais beaucoup ne se vérifient pas. L’âge médian, de 20 ans en Afrique contre 42 ans en Europe est, sans aucun doute un facteur, il n’est cependant pas suffisant à lui seul pour expliquer les raisons pour lesquelles l’Afrique semble être protégée. Une autre piste sérieuse est à suivre, celle de l’ensoleillement. Ces deux causes conjuguées pourraient être une explication. Néanmoins, il faudra attendre les travaux des chercheurs pour comprendre plus finement ce phénomène.
Le Sénégal semble avoir très bien gérer la situation. Qu’est-ce qui explique ses performances et sa maitrise rapide, apparemment, de la crise ?
Au Sénégal, comme dans beaucoup d’autres pays d’ailleurs, il y a de très bons médecins et d’excellents chercheurs, après n’étant pas sur le terrain, il est difficile de faire le tri entre ce qui relève de la réalité et de la communication.
Le Bénin s’est refusé au confinement mais le taux de contamination ne semble pas plus exponentiel que d’autres pays. Est-ce que le confinement est finalement une solution aléatoire ?
Le confinement total d’un pays est absurde partout dans le monde. Il a de l’intérêt dans une ville ou une région où se trouve un foyer de la maladie. C’est ce que les autorités chinoises ont fait à Wuhan, mais toute la Chine n’a pas été confinée. Si cette mesure est aberrante partout dans le monde, en Afrique, elle dépasse l’entendement. Ces effets contreproductifs ont un impact sur l’économie et surtout sur les populations les plus démunies bien plus grave que la maladie elle-même. Combien de millions de personnes sont menacées par la famine sur le continent ? Selon les calculs de la CEDEAO, les mesures prises, pour endiguer le virus, cumulées à la crise économique mondiale due à la pandémie, pourraient entrainer une crise alimentaire en Afrique de l’Ouest qui toucherait plus de 50 millions de personnes. Les remèdes sont pires que le mal.
Même s’il parait bien loin, le déconfinement semble de plus en plus évoqué. Qu’est-ce qui va changer dans notre manière de vivre après la pandémie ?
C’est une question qu’il faut poser aux sociologues. Ce que j’observe dans mon domaine, c’est que depuis le début du bouleversement du monde en 2011, il est très difficile de faire des prédictions, y compris à très court terme. Que va-t-il se passer d’ici un mois sur la scène internationale ? Qui peut le dire ? Mais le grand danger auquel le monde risque d’être confronté est la tentation liberticide. Pour lutter contre la pandémie des lois exceptionnelles et difficilement acceptables en temps ordinaires ont été prises, souvent par décret d’ailleurs sans approbation des parlements. Perdureront-elles après ? C’est la grande question…
Est-ce que la pandémie aura un impact au point de pousser à refonder le concept économique dominant notamment le capitalisme ?
Ce n’est pas ce qui se dessine pour l’instant, bien au contraire. Les big pharma, les grands fonds, comme celui de Bill Gates, sont hyperactifs pour prendre le marché des traitements et des vaccins.
La Suède et certains pays du nord de l’Europe ont opté pour l’immunité de groupe, celle collective, en évitant le confinement. N’est-ce pas finalement la meilleure stratégie ?
Oui je pense que c’est de loin la meilleure stratégie, c’est en tout cas la seule possible pour le continent africain.
A quoi l’Afrique doit-elle s’attendre d’ici deux ou trois mois ?
Cette interrogation cumule les défis : prévoir et prédire pour un continent qui compte 55 Etats Néanmoins si la question concerne seulement le covid 19, la catastrophe n’aura pas lieu dans les dimensions prédites, même si certains Etats peuvent être plus touchés que d’autres. Cependant, encore une fois, il faut rester très vigilants sur les mesures liberticides qui ont été prises, surtout dans les pays qui ont des élections présidentielles cette année. Il ne faudrait surtout pas que sous prétexte de coronavirus, les oppositions soient muselées, les meetings interdits, pendant que les pouvoirs en place mèneraient tranquillement leur campagne électorale. C’est aussi pour ces raisons là que les prévisions catastrophistes et anxiogènes sont terriblement nuisibles pour la démocratie sur le continent, elles permettent au pouvoir en place de surfer sur le covid19 en toute impunité.
Propos recueillis par Think Tank Albatros et Afrika Stratégies France