Quatre-vingt-onze migrants, originaires de la corne de l’Afrique et d’Asie du Sud, refusent de descendre du navire commercial qui les a reconduits au port de Misrata dans l’ouest de la Libye.
Un face-à-face tendu se prolongeait en Libye, mardi 13 novembre, pour la troisième journée consécutive entre 91 migrants à bord d’un navire commercial et les forces de sécurité libyennes déployées sur un quai de Misrata, métropole portuaire de la Tripolitaine (ouest). Les migrants embarqués sur un Zodiac qui avaient été repêchés en mer par le navire Nivin – battant pavillon panaméen –, avant d’être rapatriés par ce bâtiment à Misrata dimanche 11 novembre, refusent de descendre à terre.
En face d’eux, les forces libyennes attendaient lundi en fin d’après-midi d’intervenir. Elles ont disposé des conteneurs le long du quai, afin de mieux contrôler l’accès au bateau. Pour sa part, l’équipage, dont le capitaine est un Libanais, s’est retranché dans une cabine de l’étage supérieur du Nivin, craignant apparemment pour sa sécurité face aux migrants qui ont de facto pris le contrôle du bateau. Ces derniers, qui voulaient se rendre en Europe, sont originaires de la corne de l’Afrique (Ethiopie, Soudan, Erythrée) ainsi que d’Asie du Sud (Pakistan, Bangladesh).
« Nous ne descendrons jamais, c’est trop dangereux »
Joint au téléphone par Le Monde, un migrant soudanais, qui répond au prénom de Mohamed, a confirmé le refus des occupants de quitter le Nivin. « Nous ne descendrons jamais, a-t-il déclaré. C’est trop dangereux. Une fois à terre, ils [les Libyens] nous tueront. »
Mohamed raconte que les côtes maltaises étaient en vue quand le Zodiac a croisé la route du Nivin, dont l’équipage a proposé aux migrants de monter à bord. « Ils nous ont crié “Montez, montez, on va vous prendre” », relate le migrant, en précisant que le Zodiac n’était pas en détresse. « Au lieu de nous conduire à Malte, ils nous ont ramenés en Libye », ajoute-t-il. Le Nivine est un cargo transportant des véhicules, familier de navettes entre Malte et Misrata.
Certains cargos se plient aux injonctions des gardes-côtes libyens
L’épisode pose la question du comportement de certains cargos en Méditerranée qui, en l’absence des navires humanitaires désormais entravés dans leurs missions de sauvetage, se plient aux injonctions des gardes-côtes libyens en cas d’opérations de sauvetage. Selon une source internationale, les gardes-côtes libyens ont tenté, en l’occurrence, de récupérer en mer les migrants du Nivin mais, confrontés au refus de ces derniers, ils ont exigé du navire commercial qu’il ramène les occupants à Misrata.
Pratiques de refoulement contraires au droit international
Ces pratiques de « refoulement » vers la Libye, qui n’est pas considérée comme un « pays sûr » – au regard des violences qui y ont cours – sont dénoncées par les organisations humanitaires comme contraires au droit international régissant le traitement des demandeurs d’asile.
Situation sanitaire critique au troisième jour du face-à-face
Au troisième jour du face-à-face sur le port de Misrata, la situation sanitaire devenait critique mardi sur le Nivin où seuls des représentants du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et de Médecins sans frontières (MSF) ont pu rendre visite aux passagers. « Il y a beaucoup de mineurs non accompagnés », souligne une source humanitaire.
Des vivres ont pu être livrés lundi. Mais des soins médicaux sont urgents, plaide le migrant Mohamed. « Entre vingt et trente personnes sont blessées », précise-il. Pour la plus grande part, ces blessures sont des brûlures causées par l’essence du Zodiac. En dépit de la dégradation de la situation à bord, la détermination des migrants à rester sur place ne semblait pas mollir mardi. « Jamais, jamais, nous ne descendrons, répète Mohamed. Nous voulons juste avoir une chance de vie meilleure en Europe. » Médecins sans frontières a appelé, mardi, toutes les parties prenantes à « trouver une solution pacifique ».
Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)
Le Monde