Tensions autour d’un accord entre Sénégal et Guinée-Bissau
On l’a appris par des fuites dans les journaux. Le quotidien bissau-guinéen « O Democrata » a évoqué pour la première fois courant novembre l’existence d’un « accord secret » entre le président sénégalais, Macky Sall, et son homologue de Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló. Un accord de partage des futures recettes pétrolières et gazières dans leurs eaux communes. Problème : ni le Premier ministre ni le Parlement bissau-guinéen n’en auraient été informés.
Manque de transparence
« Nous ne comprenons pas comment notre président peut entourer les ressources de notre pays de tant de mystère« , s’insurge Armando Lona. Le rédacteur en chef du journal O Democrata, qui a dévoilé l’affaire, s’étonne de ce que l’accord passé entre les chefs d’Etat de la Guinée Bissau et du Sénégal n’ait pas été divulgué, d’autant que le partage des futures recettes pétrolières est inéquitable : 70% pour le Sénégal et 30% pour la Guinée-Bissau. « En fin de compte, ces ressources nous appartiennent à tous, pas seulement à ceux qui nous dirigent actuellement« , rappelle-t-il.
Ces méthodes sont même illégales, d’après le journaliste, car le président bissau-guinéen a pris une décision qui engage l’ensemble de la nation sans consulter qui que ce soit.
Un sentiment de « trahison »
Son point de vue est partagé par Bubacar Touré, vice-président de la Ligue bissau-guinéenne des droits de l’Homme, qui demande « au Parquet d’ouvrir une enquête« . L’ONG qu’il co-dirige s’est associée à 26 autres pour protester : « Notre président a signé un contrat illégal avec la République du Sénégal, qui n’est pas dans l’intérêt de notre peuple. Notre objectif est de poursuivre en justice toutes les personnes impliquées dans cet acte de trahison de notre nation. »
La création de la zone économique commune au large des deux pays remonte à 1993. Elle devait alors régler un vieux différend territorial qui remontait à l’ère coloniale. Cette zone est particulièrement riche en ressources halieutiques mais aussi en pétrole et en gaz.
L’agence est-elle neutre ?
L’exploration, l’exploitation et la vente de ces ressources ont été confiées par chacun des deux pays à une « Agence pour la coopération entre la Guinée-Bissau et le Sénégal » (AGC), qui a son siège à Dakar, ce qui fait craindre à de nombreux Bissau-Guinéens son manque de neutralité.
Inussa Baldé, qui dirige cette agence, minimise la portée de l’accord qui se bornerait à fixer un cadre général à la coopération et serait loin d’être un partage des ressources à proprement parler. C’est ce que soutient également le président Umaro Sissoco Embaló.
Des remontées à l’Onu ou à l’UA
Le politologue Rui Landdim salue la décision du Parlement bissau-guinéen d’annuler l’accord et de porter le scandale devant les Nations unies ou l’Union africaine. Il préconise de « tout faire pour dénoncer publiquement ce genre de traités transnationaux indignes afin d’éviter que d’autres traités similaires soient signés dans d’autres régions d’Afrique. »
Le président bissau-guinéen n’a pas apprécié le vote des députés. Il menace de dissoudre « bientôt » le Parlement.
Afrika Stratégies France avec Deutsche Welle Afrique