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TOGO/FORUM UE : Les dessous d’une diplomatie des grands événements

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A la veille du 1er forum Union européenne Togo (Ue-Tg), un certain scepticisme gagne une population habituée, depuis quelques années, à de grands événements dont plusieurs sont restés sans suites « palpables ». Sauf que motivé par le Plan national de développement (Pnd), Faure Gnassingbé entend faire de ce rendez-vous « une opportunité » pour mobiliser l’Europe jusque-là un peu réticente. Une diplomatie des grands événements qui n’est peut-être pas sans impacts.

Aéroport de Lomé. Quelques hôtesses à la sortie de l’avion, pancarte à la main. « Forum économique Togo-Ue« . Elles sont chargées, depuis lundi, d’accueillir journalistes et officiels. Une vingtaine de médias internationaux ont été conviés, un mini-voyage de presse organisé par Publicis-Ag Parteners. Et donc une véritable stratégie de communication sur un événement important du Plan national de développement d’autant que, malgré le succès du séjour londonien de Gnassingbé, le plan quinquennal devra encore convaincre, non pas de sa pertinence évidente selon experts et observateurs, mais de sa « réalisabilité ».  Alors, rien n’est au hasard.

En début de semaine, Sandra Johnson qui en a la coordination ainsi que Kodjo Adédzé, ministre du commerce ont, simultanément, accordé deux grandes interviews à Togopresse. Le quotidien d’Etat qui est aussi le journal le mieux distribué du pays a consacré un immense dossier à la visite, la semaine dernière, du président togolais en Grande-Bretagne. Dans les médias privés, quelques insertions et spots ainsi que dans les principaux médias d’Etat. Mais si la communication est si millimétrée, quels vrais impacts a cette diplomatie des grands événements ? Et est-ce que l’avènement du Pnd change la donne ?

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Un forum pas comme les autres

Début avril, un espace web dédié a été lancé. Forumtogo-ue.com. Véritable vitrine au référencement assidu. 600 acteurs stratégiques sont attendus. Une vingtaine de médias internationaux, des experts, diplomates et délégués de l’union européenne dont la vice-présidence co-présidera l’événement avec Faure Gnassingbé. D’ailleurs, le 13 juin, Jyrki Katainen, le commissaire européen à l’investissement et le chef de l’Etat lanceront la Chambre de commerce européenne (Cce) au Togo dont le très sulfureux Charles Gafan, patron du groupe Bolloré a pris la tête début juin. Le président togolais mis à mal par les dernières législatives sans l’opposition et dont le pays sort d’une vague de violentes manifestations tient à tous les détails.

Depuis plusieurs semaines, collaborateurs et conseillers multiplient des réunions et entre deux avions, Gnassingbé qui dans les derniers jours a enchaîné des déplacements hors du pays se tient informé. Après le sommet de la sécurité maritime d’octobre 2016 resté sans suite, le chef de l’Etat veut éviter le même fiasco. Surtout que le forum vise à mobiliser des investisseurs pour « son » Pnd pour lequel l’Etat doit mobiliser 35% du financement contre 65% pour le secteur privé qui ne se précipite pas non plus pour mettre la main à la bourse, bien qu’apparemment acquis à la cause. Si les représentants du secteur privé national restent vagues sur leurs apports financiers concrets, ils ont entamé le mois dernier une tournée d’explication et de sensibilisation à l’international. Mais ce forum devrait aussi rassurer l’Europe avec laquelle, pendant une quinzaine d’années, le Togo a entretenu des relations conflictuelles jusqu’en 2007. Et pour ça, le président togolais peut compter sur Louis Michel. Le controversé ancien commissaire au développement, encore député européen du Mouvement réformateur que préside son fils et actuel Premier ministre belge est la main européenne du Togo. Grâce aux 350 investisseurs attendus de l’Europe et du Togo autour du Pnd, ce forum pourrait être l’élément déclencheur de la plus grande mobilisation de fonds mais aussi une occasion de relancer l’investissement du secteur privé européen dans un pays qui en a plus que jamais besoin.

Diplomatie de l’équilibrisme et des grands événements

Le sommet sur la sécurité maritime en 2016, celui israélo-africain prévu l’année suivante avant d’être avorté, des sommets conjoints de la Cedeao et de la Cemac de juillet 2018, le pays a multiplié sommets et rendez-vous internationaux ces dernières années. Sauf que la rencontre sur la sécurité maritime n’ira pas au-delà des bonnes intensions. Le quota nécessaire pour la mise en application des recommandations ne sera jamais atteint. Mais la diplomatie des grands événements continue son chemin. Entre quelques coups de farces et de grands résultats concrets. Avec en tête de peloton, l’infatigable ministre des affaires étrangères. Ancien religieux franciscain et membre de la très influente communauté catholique Sant’egidio, Robert Dussey a une vision internationaliste du développement. Philosophe trop proche de l’Etat hébreux, il n’aura pas réussi à organiser le sommet Israël-Afrique qui lui tenait pourtant à cœur. Mais il aura poussé Faure Gnassingbé à asseoir sa diplomatie sur deux piliers presqu’opposés, l’Etat juif et le monde arabe, entretenant mystères et secrets, entre visites régulières à Tel Aviv et participation aux sommets de l’Organisation de la coopération islamique (Oci) tout en maintenant une main tendue à la Turquie. Objectif, capitaliser de multiples coopérations, soutenant les uns sans lâcher les autres. Un équilibrisme qui a porté ses fruits. Mais surtout, une diplomatie des grands événements. Avec à la clé, l’ouverture du Togo sur le monde et la mise en exergue d’une image de pays démocratique (peu évidente) et prospère. Pour ce, le Plan national de développement tombe à pic. Il ne vise pas seulement à faire du pays une plateforme financière mais aussi un hub régional de captations diverses au service de l’émergence. Là encore, le chemin à parcourir est bien long.

Perspectives pour le Pnd

Le Plan national de développement, c’est  4622 milliards CFA, loin derrière les 30.000 milliards de la Côte d’Ivoire et les 17.000 du Burkina Faso pour des plans équivalents. Mais un bon départ tout de même pour le Togo. « Consistant et plus que réaliste » selon l’ancien Premier ministre béninois et proche de Lomé II, Lionel Zinsou. Mais le Pnd, c’est aussi 500.000 emplois directs et autant d’emplois indirects, une croissance qui devrait avoisiner les 8% d’ici 2022 et une relance exponentielle de l’agriculture togolaise avec le Mécanisme incitatif de financement agricole (Mifa) qui est le seul instrument à faire, pour l’instant, ses preuves sur le terrain. Aussi, une réduction attendue de 87% du déficit commercial agricole à laquelle contribuera l’inauguration récente d’un Port de pêche visant à booster la filière. La création d’un parc commercial à Adétikopé, banlieue nord de Lomé est attendue, avec 20.000 emplois escomptés et le Port de la capitale sera l’un des plus grands bénéficiaires du Pnd. Son volume de conteneurs manutentionnés, devrait, selon les projections passer de 1 193 841 EVP en 2017 à 3 050 000 en 2022. Encore faudrait-il, qu’à côté des réformes économiques qui ont placé le pays parmi le Top 10 des réformateurs du dernier classement Doing business, l’assainissement de l’économie portuaire soit une priorité. Avec notamment, la mise en cause du monopole qu’y détient Bolloré, détruisant toute concurrence et dont le directeur général et président de la Chambre du commerce européenne, Charles Gafan, multiplie des promesses jamais tenues. Les 300 milliards d’investissement clamés n’ont été effectifs qu’à 35% et le train à grande vitesse annoncé en 2014 est resté à l’étape de projet.

En attendant, toute la capitale togolaise est dans l’effervescence d’un forum dont les bénéfices profiteront à la majorité présidentielle à la veille d’élections locales. Et surtout, pour la présidentielle de mars 2020 pour laquelle l’opposition accuse Faure Gnassingbé de transformer le Pnd en « projet de société électoraliste« . Malgré que Paul Dodji Apévon, l’un des principaux opposants n’y voit que « poudre de perlimpinpin« , les attentes des populations sont nombreuses, espérant que ce plan soit un début de soulagement.

MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Lomé, Afrika Stratégies France et Tribune d’Afrique

 

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