TRIBUNE. L’écrivaine Véronique Tadjo déplore le bras de fer qui s’annonce entre le Canada et le Rwanda pour le secrétariat général de l’OIF.
Après le « grand plan » pour la francophonie que le président Emmanuel Macron a énoncé à l’Académie française le 20 mars, on s’attendait à un renouvellement total du paysage. Réformes en profondeur, projets de grande envergure et vision mondiale de la langue française. Hélas, la réalité est tout autre. Sur le territoire français, les coupures budgétaires sont nombreuses dans le monde de la culture francophone. Nous avons encore en tête l’annonce, en févier, de la fermeture du Tarmac, véritable vivier de la création théâtrale francophone en France. Où en est le dossier ?
Dans les pays hors Hexagone, la situation n’est pas meilleure, comme l’atteste une lettre ouverte à Leïla Slimani, écrivaine d’origine marocaine, Prix Goncourt 2016 et représentante personnelle d’Emmanuel Macron pour la francophonie, après la suppression du portefeuille ministériel de la francophonie. Dans cette lettre, des professeurs tirent la sonnette d’alarme face à l’annulation de 60 millions d’euros du programme « Diplomatie culturelle et d’influence » et une baisse de 11 % des subventions des Alliances françaises, tout en réduisant la voilure budgétaire des établissements d’enseignement du français à l’étranger. Pour les signataires, dans de nombreux pays, ces décisions annoncent une dégradation de la qualité des enseignements proposés aux enfants scolarisés dans les écoles françaises, qu’ils soient français ou d’autres nationalités, et certainement une augmentation des frais de scolarité.
Une crise interne profonde
On imagine aisément la situation encore plus désastreuse qui prévaut dans les pays francophones du Sud qui ne bénéficient d’aucune faveur. Et pourtant, ils ont pour la plupart fait le choix de la langue française dans l’administration, l’enseignement, les médias, la culture et le monde des affaires. Leur réussite dans ces domaines repose entièrement sur une bonne maîtrise de la langue française. Or ils connaissent à l’heure actuelle une défaillance si sévère de leur système éducatif que cela devient une entrave à leur développement économique et social, ainsi qu’à la bonne marche du processus démocratique. Dans le même temps, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est dans une crise interne profonde qui menace de la faire imploser. La candidature de Louise Mushikiwabo, actuelle ministre rwandaise des affaires étrangères, au poste de secrétaire général de l’OIF, officialisée en mai à Paris à l’occasion d’une visite du président rwandais Paul Kagame à son homologue français, a été approuvée officiellement par le conseil exécutif de l’Union africaine (UA) lors de son 31e sommet, ceci avec l’appui de Paul Kagame, président en exercice de l’UA depuis janvier 2018 et pour une durée d’un an. Cette institution, nous apprend-t-on officiellement, « appuie toujours les candidats africains pour les postes de dirigeants dans les organisations internationales s’il n’y a pas de concurrence entre Etats africains ». Il n’y avait pas d’autre candidat africain.
Rejoindre le Commonwealth
Tout ceci laisse perplexe. D’abord à cause des relations très tendues entre la France et le Rwanda depuis le génocide de 1994, les autorités de Kigali accusant le gouvernement de François Mitterrand d’avoir été proche des génocidaires hutu alors au pouvoir – ce que la France a toujours démenti. Ensuite parce qu’au Rwanda, en 2008, le français a été remplacé par l’anglais comme langue d’enseignement. L’année suivante, tout en restant membre de l’OIF, le pays a rejoint le Commonwealth, devenant ainsi la toute première nation de tradition francophone à rejoindre les Etats issus de l’ancien empire colonial britannique. Enfin, si le Rwanda donne l’image d’un pays efficace, anti-corruption et porté sur l’innovation, des observateurs s’inquiètent du fait que le président Paul Kagame a été réélu à la tête de son pays avec 98 % des voix en 2017, après une révision de la Constitution qui lui permet potentiellement de rester au pouvoir jusqu’en 2034. Cet état de choses est préoccupant, car les présidents africains semblent de plus en plus nombreux à vouloir suivre cet exemple. Au sein de la sphère francophone, c’est le cas en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo (RDC), au Burundi, au Burkina Faso, au Congo-Brazzaville, au Cameroun et au Tchad, entre autres.
Pour une troisième candidature
La candidature de Louise Mushikiwabo ne se justifie pas dans le cadre d’une francophonie rassembleuse. Michaëlle Jean, l’actuelle secrétaire générale de l’OIF, est candidate à sa propre succession. Née en Haïti, elle est canadienne de nationalité. Des voix critiques avancent que son mandat à la tête de l’institution est entaché de controverse. Il n’en demeure pas moins qu’elle est la représentante du Canada, un pays clé pour la francophonie. Un bras de fer entre le Canada et le Rwanda ne serait bon pour personne. La francophonie ne doit pas devenir l’affaire du continent uniquement. Une troisième candidature est donc nécessaire. Que reste-il donc à penser à quelques mois du sommet de la Francophonie, qui se tiendra les 11 et 12 octobre en Arménie ? Difficile de ne pas prédire que nous assisterons à la démonstration du caractère intrinsèquement géopolitique de la francophonie. Cela ne manquera pas de renforcer la désillusion de plus en plus profonde qui étreint de nombreux francophones. Mais pour ceux qui ne sont pas encore prêts à baisser les bras, il reste peut-être encore une chance : celle d’une francophonie recentrée sur les véritables enjeux de la langue française.
Si l’on veut garder l’espoir d’un meilleur avenir pour tous, le secrétariat général de l’OIF devrait être une fonction moins politique, plus technique, moins onéreuse et ciblée sur les défis de l’enseignement du français. Dans l’idéal, ce serait un poste tournant qui donnerait une chance à chaque Etat membre d’apporter sa contribution. Financièrement, l’OIF doit montrer son désir d’autonomie en étant indépendante de la France. Ce que les francophones du monde entier veulent, c’est une langue qui sait épouser les spécificités de chaque pays tout en gardant son homogénéité. Une langue qui exige que l’on s’engage avec conviction. Une langue en synergie avec les autres. Une langue qui tient ses promesses.
Véronique TADJO*
*Véronique Tadjo, née d’un père ivoirien et d’une mère française, est écrivaine, universitaire et peintre. Son dernier livre, En compagnie des hommes, sur l’épidémie d’Ebola de 2014, est paru aux éditions Don Quichotte en 2017.