Un projet de loi pour demander « pardon » aux harkis soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie
Reconnaître et réparer la « tragédie harkie », soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie. Les députés ont commencé l’examen, jeudi 18 novembre, d’un projet de loi pour demander « pardon » à ces Algériens qui ont combattu aux côtés de l’armée française avant de débarquer en métropole dans « des conditions indignes ».
Traduction législative d’un discours d’Emmanuel Macron prononcé le 20 septembre à l’Elysée devant les représentants de cette communauté, le texte, pour lequel près de 130 amendements ont été déposés, se veut un examen de conscience de la France avec une dimension mémorielle mais aussi un volet indemnisation. Avec cette loi, le chef de l’Etat va plus loin que ses prédécesseurs depuis Jacques Chirac, en reconnaissant une « dette » envers ces hommes, mais aussi leurs familles.
Voulant tourner une des « pages les plus sombres de l’histoire de France », la ministre déléguée à la mémoire et aux anciens combattants,Geneviève Darrieussecq, veut être au « rendez-vous de la vérité et de l’honneur ». C’est un « tournant historique dans la reconnaissance », a-t-elle insisté. Le projet de loi « n’a pas vocation à dire l’histoire ou à décrire les souffrances ». Selon la ministre déléguée, « la réparation ne peut pas tout, elle n’efface pas les souvenirs douloureux ».
Emotion
Sous le regard de représentants de la communauté harkie présents en tribune, plusieurs orateurs des groupes politiques, dont certains sont des descendants de rapatriés d’Algérie, ont laissé percer leur émotion, telle la rapporteuse La République en marche (LRM) Patricia Mirallès.
Emotion également partagée par des députés, comme David Habib (Parti socialiste) ou Alexis Corbière (La France insoumise), dont les circonscription comptent de nombreux descendants de ces Algériens qui ont combattu aux côtés de l’armée française avant de débarquer en métropole dans « des conditions indignes ».
Si M. Habib a ironisé sur la « démarche conjoncturelle du président-candidat » Macron, il a souligné « la nécessité d’apporter une réponse à nos concitoyens harkis, adaptée à la souffrance qui a été la leur ».
« La guerre est finie et malheur à ceux qui réactivent sans cesse les termes du conflit », a de son côté déclaré M. Corbière, visant implicitement le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour, et dont le groupe ne s’opposera pas à un « texte qui marque, d’un point de vue historique, une avancée ».
« Ces hommes qui n’avaient pas de prénom français et étaient de religion musulmane ont mieux défendu la France que certains traîtres à la Nation », a déclaré Julien Aubert (Les Républicains) dans une allusion sibylline aux déclarations de M. Zemmour. Il a aussi attaqué la reconnaissance en 2018 par Emmanuel Macron de la responsabilité de l’Etat dans la disparition et la mort sous la torture du mathématicien Maurice Audin, militant de l’indépendance algérienne, en 1957. « Fallait-il laisser entendre que Maurice Audin, parce qu’il avait été une victime, devenait un héros, oubliant ainsi qu’il trahissait sa patrie, ses concitoyens et l’armée française ? », a vilipendé M. Aubert, suscitant des protestations sur les bancs de la gauche.
Reprenant la formule de M. Corbière sur « la guerre est finie », Mme Darrieussecq a demandé à ne pas remettre « une pièce dans la machine de confrontation des mémoires ».
En juillet, trente-trois députés LR, emmenés par Julien Aubert, avaient demandé à M. Macron le versement d’une « indemnisation spéciale » en faveur des harkis. M. Aubert et le groupe LR ont notamment déposé une série d’amendements reconnaissant la « responsabilité pleine et entière » de la France dans l’abandon des harkis en Algérie ou la « ségrégation sociale » dont ont fait l’objet ces combattants et leurs familles en France.
Réparation
Le projet de loi jongle avec le symbolique et le concret. Il reconnaît les « services rendus en Algérie par les anciens membres des formations supplétives qui ont servi la France et qu’elle a délaissés lors du processus d’indépendance de ce pays ». Jusqu’à 200 000 harkis ont été recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant le conflit entre 1954 et 1962.
Le texte reconnaît également « les conditions indignes de l’accueil » réservées aux 90 000 harkis et à leurs familles qui ont fui l’Algérie après l’indépendance. « Près de la moitié d’entre eux ont été relégués dans des camps et des hameaux de forestage », a détaillé Mme Darrieussecq, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
En conséquence, le projet de loi prévoit « réparation » de ce préjudice, avec à la clé une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures. La mesure concerne « les anciens combattants harkis et leurs épouses accueillis après 1962 en “métropole”, dans des conditions indignes, mais aussi leurs enfants qui y ont séjourné, voire y sont nés », explique la rapporteuse La République en marche, Patricia Mirallès.
D’ores et déjà, 50 millions d’euros ont été inscrits dans le projet de budget 2022 pour abonder le fonds d’indemnisation. « Nous estimons que 6 000 dossiers pourraient aboutir dès 2022 », précise Mme Mirallès, qui défendra un amendement pour « intégrer des cas particuliers qui ne seraient aujourd’hui pas couverts par l’indemnisation forfaitaire ». En 2018, un fonds de solidarité de 40 millions d’euros sur quatre ans avait été créé pour les descendants de harkis.
Le projet de loi contient aussi des mesures catégorielles au bénéfice des veuves de ces anciens combattants. Une commission chargée de contribuer au recueil et à la transmission de la mémoire des harkis et de leurs proches, et de statuer sur les demandes de réparation, sera instituée.
Afrika Stratégies France avec Le Monde Afrique